YANG SAI*
L’histoire de la Chine vue par la BBC
YANG SAI*
Le célèbre présentateur britannique William Wood vient de sortir un grand documentaire sur l’histoire de la Chine. Loin des discours académiques et du point de vue chinois, il essaie de montrer l’histoire chinoise à travers son peuple et de la rendre vivante aux yeux du public occidental.
Après 3 ans de tournage, le documentaire en 6 épisodes L’histoire de la Chine (The Story of China) a été diffusé le 21 janvier dernier sur la BBC. Cette coproduction du Public Broadcasting Service (PBS) et de la BBC a été tourné par Michael Wood, célèbre historien et présentateur pour la BBC 2. Il raconte toute l’histoire de la Chine depuis plus de 4 000 ans, des dynasties Xia, Shang et Zhou jusqu’aux temps modernes.
Hormis le documentaire Art of China tourné en 2014, les productions ayant pour thème l’histoire ou la culture chinoises sont rares au Royaume-Uni. Michael Wood, également présentateur du documentaire est spécialiste de l’histoire britannique, et est aujourd’hui un bon connaisseur de l’histoire chinoise grâce au tournage de ce documentaire. Il a bien voulu répondre à nos questions.
« Certains disent que les Chinois d’aujourd’hui n’ont plus le sens de la famille. J’ai dit aux membres du groupe de tournage que j’allais retrouver et montrer cela, explique William Wood, en Occident, on a toutes sortes de doutes sur la Chine. »
Pendant ses études à l’université d’Oxford, son colocataire était un expert en sinologie. Des spécialistes chinois lui rendaient souvent visite. Il écoutait souvent leurs discussions. William Wood était aussi déjà allé en Chine dans les années 1980.
D’après lui, la Chine « de l’époque » est très différente de celle d’aujourd’hui. Il était inquiet que la Chine ne se perde dans sa modernisation et oublie ses traditions. Il a pu voir qu’il est pourtant possible de retrouver la culture chinoise « cachée dans les vieilles rues et ruelles ». « Si tu entres un peu dans les vieilles rues, tu retrouves des petites choses de la tradition chinoise. »
L’affiche du documentaire The Story of China.
Lorsqu’on lui demande quelle ville chinoise il préfère, il hésite, parce que beaucoup de gens et d’histoires le touchent et l’impressionnent. Par exemple, cette histoire d’un vieux monsieur qui a caché les tablettes funéraires de ses ancêtres dans le toit de la maison pendant la Révolution culturelle. Plusieurs décennies plus tard, son petit-fils les a retrouvées lors de la rénovation de la toiture, et a continué à faire le culte de ses ancêtres. William Wood se souvient aussi de la visite à cette famille, de la rue dallée devant la porte de la maison, des poissons séchés dans la cour, et même du grincement de l’escalier.
Il est encore impressionné par des scènes comme celles-ci : des écoliers qui récitent un poème de Du Fu (poète de l’époque Tang), un banquet d’anniversaire pour une vieille dame de 90 ans, le récit spectaculaire du célèbre roman chinois Au bord de l’eau par un conteur.
La première partie du documentaire s’appelle « Les Ancêtres ». William Wood est allé visitert une famille Qin lors de la fête Qingming où il a filmé les scènes de la grande assemblée familiale et du culte aux ancêtres. Dans la dernière partie du documentaire, on revient sur ces histoires familiales où l’on retrouve la joie et la douceur des Chinois d’être en famille pendant la fête du Printemps. On peut aussi y découvrir d’autres perspectives sur la Chine.
Certains histoires racontées dans le documentaire n’avaient jamais été mises au jour avant. Susanna Thornton, docteur en chinois de l’université d’Oxford et membre de l’équipe de tournage est allée spécialement à l’institut de l’Asie et de l’Afrique (SOAS) de l’université de Londres pour suivre des conférences dans lesquelles elle a découvert que parmi les spécialistes de la rébellion Taiping (1851-1864), aucun n’était réellement allé à Guiping dans le Guangxi, là où avait éclaté la rébellion. Personne ne savait s’il existait encore des descendants des témoins de la rébellion. Alors elle a décidé avec ses collègues d’étudier les documents et de parcourir les chemins sinueux pour arriver au village de Gulinshe, berceau de la rébellion Taiping.
« Nous avons découvert avec étonnement qu’il restait un villageois qui pouvait raconter avec précision les événementsde l’époque. C’était un descendant des membres du cortège de Feng Yunshan, un des dirigeants de la rébellion, raconte Susanna Thornton. Il nous a demandé si c’était des chercheurs japonais qui nous avaient indiqué le village car seuls ceux-ci s’intéressent à cette histoire. »
À Kachgar, Michael Wood cause avec un artisan potier.
Le documentaire diffusé sur PBS et la BBC s’adresse à un public novice, et pas spécialiste de la Chine. « En général, les gens n’ont jamais entendu parler de l’empereur Kangxi et ne connaissent rien de la Chine. Nous avons donc du faire des efforts pour créer un pont entre l’histoire de la Chine et le public occidental », raconte Susanna Thornton.
Ainsi, des notions occidentales comme « la Renaissance » ont été utilisées pour comparer ou expliquer les événements chinois. Pour ne pas troubler le public occidental par des noms de personnes et de lieux chinois très compliqués, le groupe de tournage appelle Du Fu (712-770) « le Shakespeare chinois », et surnomme Zhang Dai (1597-1679), lettré de la fin de la dynastie Ming, « le Proust des Ming ».
Les périodes historiques traitées ont été mises en relation avec l’histoire occidentale : par exemple, sous la dynastie des Tang (618-907), première période d’internationalisation en Chine, le christianisme a été introduit en Chine et des stelles le prouvant ont été trouvées. Le documentaire raconte la rebellion Taiping, inspirée par l’Église occidentale, ainsi que le mouvement Yihetuan (Boxers), qui a éclaté à la fin du XIXesiècle.
Lorsque l’on parle de l’histoire de la Chine, la guerre d’Opium entre la Chine et la Grande-Bretagne est incontournable. L’équipe de production et le public étant britanique, le documentaire se montre très prudent en ce qui concerne cette période de l’histoire. Deux chercheurs chinois qui donnent leur point de vue ont d’ailleurs été interviewés pour plus d’objectivité.
D’après William Wood, « Bien sûr, la Grand-Bretagne a honte de cette histoirelà. C’était une guerre injuste qui est la honte du pays. Mais la Chine a changé depuis. Certains spectateurs britanniques ont des remords pour ce que le Royaume-Uni a fait à cette époque. D’autres sont surpris de l’évolution historique, de l’influence de cette guerre sur l’histoire de la Chine. Si l’on analyse ce passage de l’histoire chinoise, il en résulte une série d’événements compliqués et imprévisibles. Il est intéressant de voir que c’est à partir de ce moment-là que l’histoire de la Chine et celle de la Grande-Bretagne se sont croisées », fait également remarquer William Wood.
« Six épisodes, c’est très court alors que l’histoire chinoise est très riche », répète souvent William Wood lors de l’interview. « Il est difficile de raconter en 6 heures plus de 4 000 ans d’histoire de la Chine surtout si l’on veut traiter les aspects historique, culturel, artistique, scientifique et technique ou encore des mœurs.
L’école secondaire Yanshi du Henan abrite la stèle commémorative du tombeau du poète Du Fu. Michael et les élèves discutent des poèmes de celui-ci.
La version finale se divise en « Les Ancêtres », « La Route de la Soie et les navires chinois », « L’âge d’or », « La dynastie des Ming », « La dernière Dynastie » et « L’âge de la révolution ».
Pour Michael Wood, « Notre caméra se focalise sur les Chinois ordinaires, c’est notre tâche la plus importante. » D’après lui, le documentaire est différent de ceux tournés par la CCTV (télévision chinoise d’État) au style très grandiloquent ou encore des documentaires qui racontent l’histoire de façon très académique.
William Wood voulait faire revivre l’histoire de la Chine par les Chinois ordinaires et chercher, à travers ces personnes et leurs histoires, les traces de la vie de leurs ancêtres et des événements qu’ils ont connus.
Pendant ces deux ans de tournage, William Wood et son équipe se sont rendus 12 fois en Chine et l’ont sillonnée du Xinjiang au Heilongjiang, de Beijing à Guiping (Guangxi). « Je n’ai pas pris de congé pendant ces deux ans », avoue-t-il
Malgré la fatigue du tournage, William Wood est très loquace lorsqu’il évoque ce qu’il a vu en Chine : « Le tournage s’est bien passé. Il n’y avait pas de contrôle sévère comme le croient les gens en Europe. Les Chinois sont très photogéniques et si j’en ai de nouveau l’occasion, j’espère encore pouvoir tourner des films sur la Chine. J’ai beaucoup d’idées pour parler de ce pays. »
*YANG SAI est journaliste au quotidien en version chinoise Nouvelles d’Europe.