WANG WENJIE, membre de la rédaction
Le paradis miniature de Xi Shu
WANG WENJIE, membre de la rédaction
C’est sur Weibo que j’ai vu pour la première fois les œuvres de Xi Shu. En septembre dernier, il y avait publié neuf pour l’anniversaire de son père. En quelques heures, celles-ci ont reçu des dizaines de milliers de likes. Parmi les commentaires, certains disent qu’elles leur rappellent leur enfance et leur font l’effet d’une madeleine de Proust.
À l’heure actuelle en Chine, l’art de la miniature en est encore au stade embryonnaire. Mais grâce à Internet et aux expositions, cet art commence à se populariser.
Bien que le temps fuie sans retour, il y a des épisodes de notre vie qui restent toujours gravées dans notre mémoire. On les recherche et on les catalogue par différents moyens : la littérature, la musique, la calligraphie, la peinture ou encore la photographie. Xi Shu a choisi la miniature. Des ouvrages enchanteurs comme des contes de fées, qui semblent être capables de fixer le temps et de raconter silencieusement le passé tout en donnant libre cours à l’imagination.
C’est en 2008 que Xi Shu a touché à la miniature pour la première fois. Ses études et son ancienne vie n’avaient rien à voir avec l’art manuel. « C’est par hasard que j’ai vu des images de miniatures étrangères. Il y en avait une faite par une Malaisienne qui représentait une petite épicerie dans la lumière du soir qui m’a beaucoup impressionné. »
Au cours des mois suivants, il fait des recherches sur Internet. Émerveillé par la minutie de certaines miniatures, il a décidé de s’y mettre en faisant avec ce qu’il avait sous la main.
Encore aujourd’hui, Xi Shu se souvient encore de son premier essai : « Mon premier ouvrage était une scène du film français Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. J’ai refait le mur avec le rebord de la fenêtre avec la petite grille en bois et l’ours en peluche et les plantes. Pour fignoler les détails, j’ai étudié les anciens bâtiments de Gulangyu » (petite île à Xiamen, sud-est du Fujian)
Cet essai a déchaîné son enthousiasme. Il avait trouvé ce qui l’intéressait, et qu’il était bon pour ce travail.
Il a alors fait le choix de devenir miniaturiste. « Je me suis dit que si je ne faisais un travail manuel que pendant mon temps libre, je ne ferai pas beaucoup de progrès. Je voulais faire ça bien, donc j’ai démissionné de mon emploi sans hésiter pour m’appliquer corps et âme à la création », nous confie Xi Shu, qui possède son propre atelier depuis plusieurs années déjà. Début 2015, il a quitté Xiamen où il vivait depuis une dizaine d’années, pour aller à Guangzhou (capitale du Guangdong).
Des miniatures d’ustensiles de cuisine créés par Xi Shu.
« Au début, mes parents n’étaient pas très favorables, et mes amis avaient du mal à me comprendre, du fait qu’ils s’inquiétaient de ma vie profefssionnelle et qu’ils doutaient que je puisse vivre de la création de mes miniatures. Le commencement est dur ; j’ai dû régler tous les problèmes par mes propres efforts. À ce moment-là, ce métier était naissant en Chine, nous raconte-t-il. La miniature, qui a une histoire de plus de 400 ans à l’étranger, en est encore à ses débuts en Chine. En Occident, il y a des musées consacrés spécialement à cela : par exemple le Musée Miniature et Cinéma à Lyon. »
Xi Shu nous explique que l’échelle la plus commune entre les miniatures et les objets réels est de 1/12, et qu’elle est également l’échelle la plus agréable pour l’observation à l’œil nu. En général, une suite de miniatures comprennent une centaine de modèles qui doivent être parfaitement proportionnés. Très difficile pour Xi Shu qui n’a pas appris les beaux-arts ni l’architecture. « Pour que la scène ait une ressemblance frappante, il faut non seulement parfaire tous les détails, mais aussi veiller à ce que tous les modèles aient la même échelle », nous explique-t-il.
Xi Shu nous raconte que c’est souvent lors de la fabrication des anciens objets qu’il a rencontré les plus grandes difficultés : « Par la reproduction des meubles traditionnels, je me suis aperçu que les anciens artisans étaient vraiment des génies qu’on devrait respecter. Les gens d’aujourd’hui sont trop impatients pour être attentifs et rechercher la perfection. Une fois, j’ai copié une chaise de la dynastie des Ming (1368-1644), et c’était très compliqué. Il fallait être extrêmement minutieux et c’est là qu’on se dit qu’on n’est pas grand-chose face aux anciens artisans. »
Malgré des difficultés et des doutes, le travail de modéliste cache parfois aussid’agréables surprises et des fiertés. « J’ai créé en 2012 la Chambre de Master Hong Yi (1880-1942, célèbre musicien, éducateur en beaux-arts, calligraphe et l’un des pionniers du théâtre chinois), dans laquelle il y a un lave-pinceaux en porcelaine très délicat. Lors du premier essai, j’ai choisi la manière de coloration fréquemment usée dans la fabrication des miniatures, mais le modèle était beaucoup moins joli que le lave-pinceaux réel. J’ai donc commencé à étudier la poterie, et j’ai réussi à créer des fissures extrêmement délicates dans le glacis ». Ce qui le rend très fier car les mesures et les techniques de « la vie à taille humaine » ne sont pas à l’échelle des miniatures. Ainsi les craquelures des porcelaines de Jingdezhen (capitale de la porcelaine) seraient trop grandes pour les miniatures.
La miniature L’Ancien rêve dans les anciennes ruelles exposée au mois de novembre 2015 à Chengdu.
Xi Shu pose les tuiles sur le faîtage d’une miniature de maison traditionnelle.
Adieu ma concubine fait partie des chefs-d’œuvre de Xi Shu. L’inspiration lui est venue du film éponyme. Sur cet miniature qui a été exposée dans plusieurs villes, Xi Shu nous raconte une anecdote : « Ma miniature Adieu ma concubine représente la fin du spectacle : la musique est terminée, le public est parti. Sur la planche, les tables et chaises sont en désordre, c’est fait exprès. Mais un jour, pendant la préparation d’une exposition dans la Galerie d’art de Foguangyuan à Taipei, un bénévole qui croyait que ma miniature avait été bougée s’est mis à ranger les chaises. C’est dommage que je n’aie pas pris une photo, elle n’avait jamais été aussi bien rangée ! »
« J’ai reçu quantité de messages d’amis internautes, qui consultent les cours à apprendre et les manuels à lire. En fait, il n’y a rien de sorcier ni de technique spéciale. La seule réponse est peut-être de vivre dans la réalité. Si je pense aux nuits d’été de mon enfance, je vais faire un lit en bambou ; si je pense à mon ancien seau, je fabrique un seau en bois ; si je pense à mon grand-père, je fais une serpe. Mes enseignants sont les jours passés, mes parents, les roses au début de l’été, des anciens artisans inconnus, et les souvenirs d’enfance doux et imprécis. » Voici un paragraphe écrit par Xi Shu pour les internautes. Chaque ligne manifeste son amourde la vie, et son attachement au passé.
« Je fais ce que je veux exprimer, c’est tout simple, dit Xi Shu. Pour les matériaux, j’essaie d’être au plus près de la réalité, c’est-à-dire, j’utilise du bois si l’objet réel est en bois, et du bambou si c’est en bambou. Mon inspiration vient généralement de la vie quotidienne, de mes souvenirs d’enfance, ou des histoires entendues, des sentiments lors d’un voyage, ou encore d’un film. »
« L’Ancien rêve dans les anciennes ruelles, que je viens de terminer, représente typiquement la recherche du temps perdu, nous confie Xi Shu. En mars dernier, je me suis rendu à Guiyang (capitale du Guizhou) pour participer à une exposition de miniatures. L’organisateur souhaitait que je crée un œuvre pour l’exposition qui avait lieu huit mois plus tard à Chengdu. Et ils m’ont invité à visiter les ruelles du vieux Chengdu. Mais j’ai été déçu parce que l’endroit était devenu trop commercial, un peu comme Nanluoguxiang à Beijing. Bien que la structure d’ensemble du quartier existe, les traces de vie des anciens habitants locaux ont complètement disparues. Et puis, j’ai visité des vielles maisons à Chengdu, qui sont rares et délabrées, et sont coincées entre les grands bâtiments. Elles survivent probablement parce que ce sont de beaux bâtiments construits pendant la République de Chine. »
Il ajoute : « Je ne connaissais pas l’ancienne apparence du quartier de Kuan Zhai Xiangzi, et il était presque impossible pour moi de l’imaginer. Il y a peu de vidéos et d’images à prendre pour référence, car peu de personnes s’intéressaient à cet endroit avant qu’il ne soit réhabilité. Ainsi, j’ai fait un traitement vague sur l’époque reflétée par l’œuvre, qui représente à peu près la fin des années 1980. L’accélération de l’urbanisation entraîne des changements considérables dans les villes depuis quelques années, et beaucoup de choses ont disparu. Dans une certaine mesure, c’est regrettable, c’est pour cela que j’ai choisi les anciennes ruelles comme thème de ma nouvelle œuvre. Je voudrais rétablir leur ancienne apparence et montrer la vie qu’il y avait dedans. »
« Chacun d’entre nous a sa ruelle de son souvenir, mais très souvent, il est trop tard pour lui dire adieu quand elle a disparu. L’Ancien rêve dans les anciennes ruelles est une miniature de la vie sans espacetemps précis qui reproduit des scènes simples de la vie quotidienne, pour que tout le monde puisse se remémorer le temps perdu », explique Xi Shu.
La cuisine d’un monastère dans les montagnes.
« J’échange avec les amateurs de miniatures principalement par Weibo. Je suis peut-être l’un des premiers professionnels du domaine authentifié par la plate-forme. Pour le moment, le nombre de suiveurs de ma page a dépassé les 150 000, mais je n’ai pas l’intention de m’engager dans la commercialisation. Je sais clairement ce que je veux. Je ne recherche pas la production en gros. Je ne veux pas faire un travail répétitif pour gagner de l’argent », nous dit Xi Shu.
« Créer et faire des expos c’est le plus important pour moi. En plus de créer, j’accepte de faire un petit nombre de produits personnalisé sur Weibo. L’année dernière, j’y ai ouvert un mini magasin de fleurs, qui vend une fois par mois des meubles et des pots de fleurs miniatures. Bien entendu, mon but consiste surtout à échanger avec les autres, explique Xishu. Chaque nouveau mini jardin a son propre arrangement. Une fois, j’ai fait une table à thé de la période de la République de Chine avec des matériaux plus que centenaires. En fait, lorsque mon village natal dans le Fujian a été démoli, mon père a ramassé pour moi du bois de bonne qualité venant des anciennes maisons. Je les ai sélectionnés, découpés, lissés, pour fabriquer des meubles pour mon mini magasin de fleurs. »
« Dans la création artistique, la répétition est vaine et insignifiante, donc je peux accepter au maximum des produits personnalisés, qui racontent des histoires amusantes. C’est plus sincère je trouve. Quant aux prix, ils symbolisent la compensation du coût du temps passé. En effet, le coût de production des petits modèles se manifeste essentiellement par le temps, non pas par les matériaux, conclut Xi Shu. Faire des miniatures est aujourd’hui ma vie, et j’ai bien l’intention de continuer sur cette voie. »