LIU QIONG*
Les ZLE changent la Chine
LIU QIONG*
Le premier ministre Li Keqiang inspecte la ZLE de Shanghai, le 25 novembre 2015
Chaque fois qu’il part en mission à New York et qu’il trouve du temps libre, Chen Jun (nom modifié), cadre à Shanghai, adore aller à Broadway assister à des comédies musicales.
Autour de Time square, entre les rues 41 et 52, sur un kilomètre carré à peine, on trouve pas moins de 38 théâtres, où des classiques comme Cats et The Phantom of the opera attirent des foules de visiteurs et de touristes comme Chen Jun.
Chen Jun a appris avec ravissement qu’il pourrait désormais assister à des représentations originales sans traverser l’océan : Nederlander World Entertainment(NWE), une agence de Broadway, vient d’enregistrer une filiale dans la zone de libreéchange (ZLE) de Shanghai, la première à capitaux étrangers en Chine.
NWE a prévu d’investir des centaines de millions de dollars, pour dans une première phase créer 4 ou 5 théâtres d’environ 2 000 places. Les Chinois pourront ainsi regarder aussi souvent qu’ils le souhaitent, et sans décalage horaire, des pièces de Broadway. Peu après NWE, la société du réalisateur taïwanais Stan Lai et l’agence sud-coréenne Nanta se sont, elles aussi, installées dans la ZLE.
Autoriser l’accès des capitaux étrangers sur le marché du divertissement : avec la ZLE de Shanghai l’heure est à l’ouverturedu marché culturel.
Un orchestre mexicain se produit dans le centre commercial de Yujiapu, dans la ZLE de Tianjin.
En 2015, la Chine a publié les Mesures de gestion spéciale sur l’accès des capitaux exclusivement étrangers à des zones de libre-échange (il s’agit d’une liste négative, c’est à dire d’une liste de restrictions par rapport au régime appliqué aux sociétés chinoises, qui s’appliquent dans les ZLE de Shanghai, du Guangdong, de Tianjin et du Fujian). Cette nouvelle édition ramène à 122 le nombre des restrictions, contre 139 dans la liste négative de 2014 publiées par la ZLE de Shanghai.
La stratégie des zones de libre-échange a été inscrite dans le XIIIeplan quinquennal qui débute en 2016. Selon ce plan, la Chine va accélérer le développement de ses zones de libre-échange, tout en encourageant la négociation d’accords régionaux de partenariat économique global, ce qui devrait faire progresser la construction de la zone de libre-échange Asie-Pacifique et la formation d’un réseau de zones de libre-échange plus ouvertes et orientées vers les différentes régions du monde.
« Archimède disait ‘Donnez-moi un levier et un point d’appui, et je soulèverai le monde’. Avec ce point d’appui qu’est la zone de libre-échange, et ce levier qu’est la décision de la troisième session plénière (créant les ZLE, ndlr), nous allons soulever la réforme et l’ouverture de notre pays », a philosophé Zhou Hanmin, membre du Comité permanent du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) au cours d’un forum.
La zone de libre-échange pilote de Chine a été inaugurée à Shanghai le 29 septembre 2013. Au vu des bons résultats obtenus en termes de libéralisation de l’investissement, de simplification du commerce, d’une fiscalité incitative et de réforme financière, le gouvernement a décidé en avril 2015 de fonder trois autres ZLE, à Tianjin, dans le Guangdong et au Fujian. En même temps, la deuxième phase de la zone de Shanghai était mise en chantier.
Ces quatre zones répondent à des missions différentes.
La zone de Tianjin met l’accent sur le développement coordonné entre Beijing, Tianjin et le Hebei, dessert la Chine du Nord, les anciennes bases industrielles du Nord-Est et le Nord-Ouest ; elle est également chargée de favoriser la restructuration industrielle de la ceinture économique de la mer Bohai, orientée vers l’Asie du Nord-Est. La zone du Fujian doit approfondir la coopération économique régionale entre les deux rives du détroit de Taiwan et les échanges entre les villes puisque la coopération économique et commerciale, culturelle et éducative se développe très rapidement entre la partie continentale de la Chine et Taiwan. La zone du Guangdong se spécialise dans la coopération avec Hong Kong et Macao. L’idée est de renforcer l’ouverture économique et l’imbrication de ces zones pour permettre une montée en gamme des services dans ces deux régions. Par ailleurs, cette région jouera le rôle de carrefour important de la Route maritime de la Soie.
La création de ces quatre zones de libre-échange intéresse beaucoup d’investisseurs étrangers. De janvier à septembre 2015, elles ont accueilli 4 639 entreprises, dont 90 % étaient créées spécialement, avec un montant d’investissement total de 346,11 milliards de yuans. Le nombre d’entreprises créées pendant cette période à Shanghai a connu une hausse de 52,6 % par rapport à la même période de l’année précédente. Dans les zones du Guangdong, de Tianjin et du Fujian inaugurées en avril 2015 la croissance a été multipliée par quatre.
L’allemand Boehringer-Ingelheim bénéficie déjà des avantages offerts aux sociétés innovantes par la zone de libreéchange. C’est cette entreprise qui a été choisie pour jouer le rôle de société pilote du Marketing Authorization Holder (MAH). Ce système de réglementation pharmaceutique basé sur les modèles pratiqués à l’international s’applique depuis le 5 novembre 2015 dans dix villes chinoises.
La MAH sépare la vente de médicaments de leur production, et c’est donc une amélioration de la régulation du marché pharmaceutique. Seules les entreprises de production de médicaments pouvaient déposer une demande d’enregistrement de leurs produits et obtenir un numéro d’autorisation de mise sur le marché. Elles sont ainsi libérées du système de gestion qui liait l’enregistrement d’un produit à l’autorisation de sa production. Une nouvelle méthode qui vise à optimiser les ressources de médicaments en Chine et à donner une nouvelle vitalité à l’innovation pharmaceutique.
Yin Xuelin, directeur général de Boehringer-Ingelheim, nous fait part de ses doutes : « Lorsque nous importons des médicaments étrangers nouveaux pour leur faire passer les formalités d’essais cliniques, ils ne sont pas encore sur lemarché et ne possèdent donc pas de prix standard d’importation. Mais lorsqu’ils sont lancés sur le marché après quelques années de formalités d’autorisation, la douane prélève des droits d’importation sur ces médicaments. Comment fixer les prix de ces produits importés ? N’y a-t-il pas une meilleure méthode pour prélever ces taxes ? Dans la phase de R&D, il nous faut importer une grande variété de produits en petites quantités. Si l’on dépose à chaque fois des demandes suivant les procédures formelles de l’État, on perd beaucoup de temps. Ne pourrait-on pas moderniser un peu les procédures de passage en douane ? »
En décembre 2015, les employés de la ZLE de Shanghai ont visité mille entreprises parmi celles qui se sont installées dans la zone pour évaluer leur avis sur la zone. « La réussite de notre zone de libreéchange est mesurée par nos entreprises », explique Zhu Min, vice-président du Comité de gestion de la zone. « Là où nous pouvons progresser, c’est dans les opérations transfrontalières, car les politiques existantes ne suffisent pas à résoudre les problèmes affectant les opérations transfrontalières. Il nous faut donc nous baser sur les besoins des entreprises. »
« Les zones de libre-échange doivent employer la soustraction pour le nombre des autorisations administratives nécessaires, et l’addition pour les responsabilités prises en charge », a lancé en novembre 2015 le premier ministre chinois Li Keqiang alors qu’il visitait la zone de Shanghai. Une expertise qui aura un effet multiplicateur, tant pour le marché que pour les entreprises.
L’objectif des accords de libre-échange renforcés est de forcer un nouveau cycle de réforme et d’ouverture. Selon Zhang Yansheng, secrétaire général du comité académique de la Commission nationale du développement et de la réforme, les zones de libre-échange à Shanghai, dans le Guangdong, le Fujian et à Tianjin sont appelées à devenir les hauts-lieux du nouveau cycle de réforme. Les nouvelles zones de libre-échange chinoises sont strictement aux normes mondiales, et elles se greffent sur les initiatives de la Ceinture économique de la Route de la Soie et de la Route maritime de la Soie du XXIesiècle.
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« Les zones de libre-échange doivent employer la soustraction pour le nombre des autorisations administratives nécessaires, et l’addition pour les responsabilités prises en charge », a lancé Li Keqiang.
En janvier 2016, la zone de Tianjin a accueilli le Centre d’essai 020 transfrontalier de Tmall, filiale d’Alibaba, géant du commerce en ligne.
Ces dernières années, le commerce électronique transfrontalier, un mode tout neuf d’achat de produits importés, attire de plus en plus de consommateurs. Ses avantages sont clairs : réduction des taxes, des frais de logistique et de vente de détail par l’élimination des intermédiaires.
Depuis l’établissement des zones de libre-échange, la facilitation du commerce avec l’extérieur a attiré de plus en plus d’entreprises à capitaux étrangers, et ce sont les consommateurs chinois qui en bénéficient. Grâce à des entreprises étrangères comme Amazon à Shanghai, on peut désormais faire ses commandes depuis la Chine.
« Amazon Chine est en train de négocier avec les autorités du pays au sujet des services d’achat transfrontalier en ligne. Sa stratégie est d’accroître progressivement, par des fusions et acquisitions, sa présence sur le marché chinois », annonce Ge Daoyuan, directeur général d’Amazon Chine. Le 20 août 2014, l’entreprise a signé un mémorandum d’entente avec la zone de Shanghai et Shanghai Xintou (agence de promotion de l’investissement dans les technologies de l’information) et trois mois plus tard son magasin « Haiwaigou » (achat à l’étranger) était en ligne. Sur les huit premiers mois de 2015, le catalogue de produits d’Amazon.cn est passé de 20 000 à 3 millions de références, pour 5 millions de commandes.
Les mesures d’ouverture aux capitaux étrangers prises par les zones de libreéchange, notamment pour encourager le secteur des services comme les télécoms, les services commerciaux, les soins médicaux, la location, la logistique ou les services juridiques, suscitent l’intérêt d’entreprises étrangères de plus en plus nombreuses. En septembre 2013, la chaîne de télévision chinoise BesTV a fondé avec Microsoft une entreprise à capitaux mixtes appelée E-Home, qui a obtenu le numéro d’immatriculation 001 dans la zone de Shanghai. Un an plus tard, les amateurs chinois de jeux en ligne ont accès au catalogue officiel de XBOX ONE de Microsoft dans plus de 4 000 magasins de détail présents dans 37 villes chinoises.
Dans le domaine financier, Aberdeen Asset Management, la plus grande agence de gestion d’actifs indépendante de l’Europe et le premier fonds de placement britannique, s’est installé dans la zone de Shanghai. Il faut signaler que ce fonds a bénéficié des nouvelles mesures qui lèvent l’interdiction des participations étrangères supérieures à 33 %. Il est ainsi devenu un un portefeuille de capitaux 100 % étrangers. C’est une nouvelle percée de l’ouverture du marché chinois des capitaux.
« L’établissement des zones de libreéchange pilotes correspond au deuxième cycle de la stratégie d’ouverture mondiale de la Chine », a rappelé Yuan Zhigang, recteur de l’Institut de l’économie de l’université Fudan. Le premier cycle a été couronné par l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une ouverture qui a boosté l’industrie manufacturière et entraîné une forte croissance économique, transformant la Chine en « usine du monde ». Le deuxième cycle d’ouverture va s’étendre à de nouveaux secteurs de l’économie, avec par exemple les opérations en capital du renminbi. Une politique nécessaire mais qui apportera son lot de difficultés.
« Le but final de la mondialisation est d’éradiquer les obstacles au commerce et à l’investissement, a ajouté M. Yuan. Cela pour optimiser la répartition des ressources au sein de la société, comme par exemple les ressources humaines et foncières, pour accroître l’efficacité économique. »