HE YAFEI*
La nouvelle révolution industrielle
HE YAFEI*
Avec la nouvelle normalité, l’économie chinoise termine sa phase de rattrapage et entame un nouveau chapitre dans son développement. La recherche, l’innovation technologique et les services doivent permettre la prochaine révolution industrielle.
Une « nouvelle révolution industrielle », marquée par des nouvelles technologies, la généralisation de l’accès à Internet et l’informatisation de tous les secteurs, est en train de changer le monde de façon subtile. Les modes de vie, de pensée, mais aussi les structures politiques et sociales de la société humaine sont frappés par cette révolution. Le Big data bouleverse les anciens environnements physique et biologique, leurs contours se modifient. L’association de plus en plus étroite entre le virtuel et le réel crée un nouveau monde, une nouvelle économie et finalement une nouvelle normalité. Tout cela détermine le contexte économique mondial dans lequel la Chine doit trouver sa place par un approfondissement de ses réformes. Une période clé puisque la réforme structurelle est désormais axée sur l’offre.
Il faut observer et analyser les pistes de réflexion de la réforme économique chinoise dans le contexte de la restructuration et de la transformation qui s’intensifient, mais aussi du point de vue de la quatrième révolution industrielle, de la réforme structuelle axée sur l’offre et de la relation qui existe entre les deux.
Après des décennies de mondialisation économique, les échangers commerciaux et les investissements continuent de se développer à un rythme rapide. L’industrialisation s’accélère dans un grand nombre de pays et de nouvelles économies émergentes apparaissent. Le PIB mondial dépasse aujourd’hui 70 000 milliards de dollars. En parité de pouvoir d’achat, ce chiffre représente 118 000 milliards de dollars. La nouveauté est qu’en 2015, le PIB des pays émergents, à parité de pouvoir d’achat, représente plus de la moitié du PIB mondial, soit 57,6 %. C’est dans ces pays que se réalisent plus des deux tiers de la croissance économique mondiale, 68 % exactement, et la Chine représente à elle seule la moitié de ce chiffre. Pour autant, il est clair aujourd’hui que ce mode de développement a atteint ses limites et qu’il va lui falloir se renouveler. Certains économistes américains considèrent aujourd’hui que bien des pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique ont eu tort de suivre aveuglément les recettes néolibérales prônées par le FMI et la Banque mondiale, soutenus par l’Occident et principalement les États-Unis. Le résultat est aujourd’hui dans ces pays la récession et la stagnation. La crise financière de 2008 est elle aussi le résultat de ces politiques économiques et financières à courte vue qui ont été conduites pendant trop longtemps. L’économie mondiale souffre jusqu’à aujourd’hui des conséquences de cette crise.
Les risques se multiplient : alors que le redressement économique marque le pas dans les pays développés faute de dynamisme et d’un moteur de croissance, la croissance économique des économies émergentes et des pays en développement se ralentit. Le cycle économique, la politique monétaire de la Fed et la politique du dollar fort pèsent sur le prix des matières premières, notamment du pétrole ; les pays exportateurs de ressources naturelles, comme le Brésil, la Russie, l’Afrique du Sud et l’Indonésie sont touchés par une crise de la dette, un abaissement du crédit, la fuite des capitaux ou la dévaluation de leur monnaie. Il est encore trop tôt pour l’affirmer, mais il n’est pas exclu que l’on voie apparaître un risque systémique.
Ces facteurs produisent d’ores et déjà leurs effets : l’économie mondiale entre dans une période de restructuration profonde, la répartition des richesses et la redistribution des intérêts entre les différents acteurs s’accélèrent. Les politiques monétaires des principales puissances économiques divergent, alors que l’environnement extérieur du développement économique des pays émergents se détériore, rendant plus difficile pour ces pays d’orienter leur politique et leur restructuration économiques. Les pays développés et les pays en développement étant plus que jamais interdépendants, la multiplication des risques et des interactions entre ceuxci pourraient déclencher une crise qui se généraliserait à partir d’un maillon faible. C’est cet enchaînement qu’il convient de prévenir. Le contexte actuel dans lequel nous analysons l’économie mondiale est plein de défis que nous devons relever.
La nouvelle révolution industrielle est une opportunité historique puisqu’elle permet de remodeler les modes de fonctionnement de l’économie mondiale, de revoir les modes de production, les modes de vie, d’améliorer l’écologie et l’environnement. Mais il s’agit aussi d’un moteur qui entraîne la restructuration et la transformation économique dans tous les pays, ce qui nécessite une coopération et une coordination des différentes parties prenantes.
La nouvelle révolution industrielle prend ses origines dans la révolution numérique qui s’est produite à partir du milieu du XXesiècle. Elle se caractérise par le progrès et la fusion de nouvelles technologies basées sur le Big data et le développement de l’Internet. De cette révolution naissentde nouveaux modes de production industrielle, de nouveaux produits et même des secteurs industriels entièrement neufs. L’innovation et le partage sont nouvelles caractéristiques de cette révolution qui bouleverse radicalement les systèmes traditionnels de production, de gestion, de consommation. Une révolution de rupture, dont les résultats doivent être la coexistence harmonisée entre homme et machine, mais aussi entre homme et environnement. Nous ne sommes qu’au tout début de cette révolution.
Où résident les opportunités et les défis de cette révolution ? Quelles relations doivent être régulées ?
La première concerne la relation entre main-d’œuvre et capital. Foxconn par exemple a employé des millions de travailleurs chinois, mais à l’heure actuelle des robots y remplacent progressivement ces ouvriers. Le groupe Charoen Pokphand a mis au point une usine de volailles qui fournit, grâce à une production automatisée, deux à trois millions d’œufs par jour sur le marché de Beijing, et qui n’emploie que dix personnes. Ce remplacement des personnes par des machines ne pourra que creuser davantage l’écart qui existe entre le rendement du capital et la croissance des salaires. Pourtant, la Chine doit développer son industrie manufacturière et ne peut se permettre de la laisser s’affaiblir.
La seconde concerne les relations entre talents et innovation. La compétitivité, clé de la nouvelle révolution industrielle, réside désormais dans la fusion des nouvelles technologies, « Internet+ », ou encore l’intelligence artificielle. Leur développement dépendra des talents mis en œuvre et de leur capacité à innover. Les nouveaux produits et les nouvelles industries évoluent très vite, bouleversent les anciennes chaînes de production, brûlant les étapes entre conception, production et consommation. Comme dans la recherche-développement, la production, le marketing et même la consommation se constituent en plates-formes numériques sur une échelle internationale, ces dernières pouvant être partagées par tous. Internet+ et l’impression en 3D pourraient faire de tout un chacun un « concepteur + producteur + consommateur ». C’est de là que vient l’idée d’axer la réforme sur l’offre. L’offre et la demande doivent être coordonnées, les deux doivent s’adapter et s’épauler. Réfléchir seulement à la demande, cela ne répond pas à la situation actuelle, et soigner la demande seule n’est pas la recette qui fonctionnera à l’avenir. Lors du récent forum économique de Davos en Suisse, Jack Ma a organisé un colloque où se bousculaient des participants de tout poil, représentants de gouvernements, chefs d’entreprise, chercheurs et financiers. Dans ce village de montagne, la salle de réunion était bondée, témoin de l’importance de la nouvelle révolution industrielle.
La « nouvelle révolution industrielle » initiée par le premier ministre Li Keqiang.
La troisième concerne les relations entre gouvernement et citoyens. L’effacement des limites entre les mondes physique, biologique et numérique, les interactions nouvelles qui existent entre les trois, modifie les modes de gouvernance sociale. Les interactions entre public et gouvernement, l’élaboration et l’application des politiques ainsi que les réactions de la société, ont investi Internet, ce qui les a rendus plus rapides et plus directs. Ce n’est pas par hasard que la troisième session du XVIIIeComité central du PPC a lancé le « défi de la modernisation de la capacité et du système de la gouvernance nationale ». Le système actuel des politiques publiques et de prise de décision politique, établi avant l’apparition de la nouvelle révolution industrielle, est trop lourd pour fonctionner efficacement. Le système de partage des informations est incomplet. En particulier, ce système de contrôle n’est pas adapté aux changements économiques subits. Les mesures prises par le gouvernement chinois pour faire face aux problèmes sur les marchés financiers doivent illustrer bien ces limites.
La nouvelle révolution industrielle a changé les modes de vie et de travail des citoyens, mais d’autres changements sont dans les tiroirs : habitat et conduite écologiques, consommation à bas carbone, médecines nouvelles, création d’entreprise citoyenne, traitement de nouvelles relations humaines. Les nouvelles technologies sont-elles nuisibles aux relations humaines normales ? Alors que chacun consulte son portable à tout moment, la question se pose de la disparition progressive des échanges face à face. Avec la nouvelle révolution industrielle, l’économie chinoise fait face à une restructuration et une transformation de son mode de développement. Elle doit s’appuyer sur une nouvelle conception du développement, s’adapter et s’orienter dans la nouvelle normalité économique, pour promouvoir un développement économique durable sur le long terme.
Quelles sont les relations entre la nouvelle normalité et le renforcement de la réforme structurelle axée sur l’offre ? Que contient cette réforme structurelle ?
Ainsi que l’a formulé le président Xi, la croissance du PIB chinois et le développement économique du pays sont parvenus à un palier ; pour se poursuivre, ils demandent un ajustement du rythme, des structures et du moteur de l’économie. Cette situation est appelée « nouvelle normalité ». Effectuer une réforme structurelle axée sur l’offre signifie libérer et développer les forces productives, pousser la restructuration par la réforme, réduire les productions inutiles ou à faible valeur ajoutée, accroître la production à haute et moyenne valeur ajoutée, mieux adapter et assouplir l’offre en réponse aux fluctuations de la demande, en un mot, accroître la productivité de tous les facteurs.
Les études montrent que le taux decroissance de l’économie est déterminé par le potentiel de croissance. Ce potentiel se définit comme le taux de croissance maximal possible pour une répartition des ressources optimale, c’est à dire le niveau de productivité maximal possible pour la main-d’œuvre, le capital et les technologies disponibles. La croissance réelle du PIB oscille autour de son niveau potentiel.
Pour évaluer ce niveau potentiel de l’économie chinoise, le groupe de recherche dédié à l’étude du « piège du revenu moyen » dépendant du Centre de développement et de recherche du Conseil des affaires d’État a conduit des études approfondies. Le résultat de ces études indique une croissance potentielle de 9,8 % sur la période 2001-2005, de 11,2 % entre 2006 et 2010 et de 9,7 % entre 2011 et 2015. Ce niveau serait de 6,5 % pour la période à venir, de 2016 à 2020. Pendant cette période de croissance plus modérée, le défi est de maintenir le dynamisme de l’économie et de parvenir à un taux de croissance égal voire supérieur au niveau potentiel, tel est le problème. Dans ce contexte, on comprend l’importance qu’il y a à mener une réforme structurelle axée sur l’offre.
En 2014, le PIB chinois par habitant à parité de pouvoir d’achat atteignait 12 880 dollars, soit 23,6 % de celui des États-Unis. Pour la Chine dont la population représente 1,37 milliard de personnes, ce résultat tient du miracle. Le pays se trouve cependant dans une phase délicate de transformation de ses structures économique qui, de centrées sur l’industrie manufacturière, doivent désormais se concentrer sur le développement des services. Tel est le contexte de la nouvelle normalité chinoise.
Certains comparent la réforme structurelle à venir avec la politique économique reaganienne des années 80 aux États-Unis. Comparaison très hasardeuse au vu des contextes et des objectifs radicalement différents. La réforme structurelle chinoise ne peut pas se contenter de copier les expériences étrangères ; elle doit se baser sur la situation concrète de la Chine pour résoudre des problèmes structurels qui lui sont propres et jeter les bases solides d’un développement durable.
Le professeur Hu Angang de l’université Tsinghua explique de façon limpide l’idée générale de cette réforme.
Premièrement, il faut une politique macroéconomique stable, c’est à dire qu’il faut maintenir le taux de croissance aux alentours des 6,5 à 7 % annoncés, réduire les impôts et réajuster les taxes, locales et nationales, ainsi que cela a été proposé, et enfin conduire la politique monétaire prudente attendue par les milieux économiques.
Deuxièmement, il faut élaborer une politique industrielle ciblée qui optimise la structure de l’offre. Cela signifie concrètement soutenir le développement d’industries stratégiques nouvelles, renforcer la compétitivité des industries à forte intensité de main-d’œuvre, aider à la reconversion des secteurs traditionnels et fermer les entreprises qui fonctionnent à perte.
Troisièmement, il faut adopter des mesurres plus souples au niveau micro-économique visant à stimuler la vitalité des entreprises et à dynamiser la consommation. La Chine compte à l’heure actuelle environ 20 millions d’entreprises. Simplifier l’administration, rendre la gestion des entreprises plus autonome, construire un marché plus juste, plus équitable et plus transparent, établir un mécanisme d’élimination par la concurrence, sont d’autant plus nécessaires.
Quatrièmement, il faut mettre en application une politique de réformes. Coordonner et exploiter à leur juste valeur les initiatives des autorités locales en tenant en compte des disparités ; redoubler les efforts d’évaluation et de supervision des mesures de réforme structurelle et améliorer ce système afin de réajuster les mesures et assurer leur résultat.
Cinquièmement, la politique sociale doit fournir les services publics fondamentaux et une protection sociale fondamentale à la population. Assurer le bien-être des citoyens est crucial pour permettre la réussite des quatre premiers points.
Concernant la période du XIIIeplan quinquennal, cette réforme structurelle se résume à la réduction des stocks excédentaires, qu’il s’agisse de parc immobilier, de capacités de production manufacturières, de pression fiscale ou de taux d’intérêt appliqués aux entreprises. D’autre part, elle implique un meilleur rendement des investissements, une meilleure capacité d’offre et d’innovation, ainsi que des mesures de prévention contre les risques financiers régionaux et systémiques, ainsi qu’un encadrement des risques sociaux.
Sur le long terme, la réforme structurelle axée sur l’offre est une approche nécessaire pour répondre aux tendances de la restructuration économique chinoise. Prenons l’urbanisation pour exemple. En 2014, le taux d’urbanisation était de 55 %, un taux qui devrait passer à 70 % d’ici à 2030 selon les estimations, cela signifie que 200 millions de citoyens habitant dans les campagnes vont devenir citadins. Si l’on ajoute à ce nombre les quelques 250 millions de citoyens migrants (travaillant loin de leur lieu de résidence), on peut compter environ 450 millions de personnes qui vont s’établir dans les villes dans les 15 ans à venir. Ainsi, la restructuration économique, surtout la réforme axée sur l’offre, est une condition nécessaire pour permettre au pays un développement économique stable et durable.
Suite à la crise 2008 et grâce aux réflexions sur la théorie économique et les leviers d’action macroéconomiques axés sur la demande, de nombreux pays ont préféré mettre l’accent sur une politique économique de l’offre, c’est à dire favorisant les entreprises plutôt que les consommateurs. La Chine arrive dans une phase où elle commence à connaître la nouvelle normalité économique et il est donc très important de mettre en place un mécanisme du nouveau moteur de la croissance économique.
À l’heure actuelle, la Chine est confrontée à de nouvelles contraintes, au ralentissement de l’offre, c’est là le défi que la réforme approfondie ou l’innovation de l’offre se doit de relever. La Chine doit à la fois respecter les règles du marché qui décident de la redistribution des ressources, et gérer la demande et l’offre. C’est particulièrement pendant le XIIIeplan quinquennal et la période qui suivra qu’elle devra appliquer une gestion rationnelle de l’offre dans le contexte du marché, ce qui permettra au gouvernement de jouer son rôle régulateur sans s’opposer aux forces du marché.
*HE YAFEI est ancien vice-ministre des Affaires étrangères et ancien directeur adjoint du Bureau des affaires des Chinois d’outre-mer relevant du Conseil des affaires d’État.