JOHN ROSS*
Accomplissements du socialisme à la chinoise
JOHN ROSS*
Comme il ressort de l’analyse ci-dessous, la Chine a suivi une stratégie de développement radicalement différente des recettes néolibérales du Consensus de Washington prônées par le FMI. Ces dernières représentent la stratégie de développement la plus couramment proposée par les pays capitalistes. Le but de cet article est de comparer objectivement les résultats de ce que l’on pourra appeler « la stratégie de développement socialiste » de la Chine par rapport à ceux produits par le Consensus de Washington.
Les raisons qui poussent à cette comparaison objective sont claires. La base de toute analyse scientifique sérieuse est que, lorsque les faits ne confirment pas la théorie, l’on jette aux orties la théorie et non les faits. C’est en tout cas le sens exact de l’adage chinois qui dit « recherchez la vérité dans les faits ». Le dogmatisme anti-scientifique consiste au contraire à s’accrocher à la théorie même lorsqu’elle est contredite par les faits.
En dépit de cette exigence d’une étude objective, les partisans du Consensus de Washington semblent apprécier peu l’approche systématique et la comparaison des données de ces deux approches du développement. Les raisons de cette réticence ressortent clairement des chiffres proposés plus bas. Ils montrent que la stratégie socialiste de développement choisie par la Chine fait mieux, et de loin, que le Consensus de Washington. La priorité qu’accorde la Chine à sa stratégie de développement et l’orientation socialiste de celle-ci, conduisent à des implications prévisibles pour les autres pays.
Le terme « Consensus de Washington » a été lancé en 1989 par l’économiste américain d’origine anglaise John Williamson, bien que les politiques pratiques qui y correspondent remontent à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Le Consensus de Washington s’appuie sur le néo-libéralisme dans sa forme la plus classique. Son credo en termes de politique économique est la privatisation et la minimisation du rôle de l’État dans l’économie. Sa politique sociale peut être décrite comme une « capillarité vers le bas » (trickle down) des plus riches vers les plus pauvres – la croissance économique bénéficiera automatiquement à toutes les couches de la société. En matière législative, le Consensus de Washington affirme que le but suprême se situe dans la garantie la plus forte possible des droits de propriété privée. Politiquement, tout en se réclamant d’une parfaite neutralité, cette combinaison de mesures favorise évidemment les partis politiques capitalistes et conservateurs.
La stratégie socialiste de développement à la chinoise, lancée avec les réformes économiques en 1978, diffère radicalement dans son concept et s’oppose sur les principales questions politiques à ce consensus. La Chine emploie, pour reprendre l’expression de Xi Jinping, aussi bien la « main invisible » d’Adam Smith que la « main visible » d’Alfred Chandler, c’est à dire non pas uniquement le secteur privé, mais aussi l’action de l’État. Ainsi que l’explique le Communiqué de la troisième session plénière du 18eComité central du PCC : « Nous devons consolider et développer le secteur public de l’économie, persister dans le rôle primordial de la propriété de l’État et faire valoir le rôle prépondérant de l’économie du secteur d’État. »
En termes de politique sociale, la Chine reste en ligne avec l’approche socialiste.
D’une part, elle lance des programmes visant systématiquement la réduction et l’éradication de la pauvreté, lesquels doivent s’achever au cours du XIIIePlan quinquennal qui se termine en 2020 en aidant les 70 millions de personnes les plus démunies à sortir de la pauvreté. D’autre part, elle fait la promotion du développement par l’urbanisation comme moyen de guider la population vers des secteurs économiques à productivité supérieure, elle cherche à réduire les inégalités de revenu entre les régions urbaines et rurales. Par ailleurs, elle ne compte pas exclusivement sur « le marché » mais emploie des budgets publics pour développer les infrastructures et élever le niveau économique des régions et provinces les moins développées. Elle garantit aussi légalement la propriété privée sans renoncer au rôle économique clé du secteur public. Enfin, elle conduit une politique socialiste.
Quels sont les résultats tangibles de ces deux approches radicalement différentes du développement économique ? Pour les évaluer, et pour des raisons qui vont sembler évidentes à la vue des statistiques, on étudiera non seulement le cas de la Chine mais aussi de trois autres pays. Ces pays sont le Vietnam, qui se définit comme socialiste et qui s’est largement inspiré de l’approche chinoise de l’ « économie de marché socialiste », le Cambodge et la République démocratique populaire du Laos, les deux derniers étant eux aussi largement influencés par le modèle de développement chinois.
Les données sont résumées dans la Table 1 qui montre les taux annuels moyens de croissance du PIB par habitant sur trois périodes se terminant en 2015. La première court depuis 1978, date du début des réformes économiques chinoises. La seconde démarre en 1989, période à laquelle le Consensus de Washington a été formulé. La troisième enfin part de 1993,année à partir de laquelle le Cambodge a commencé à publier ses statistiques.
Ces données sont si frappantes qu’elles se passeraient presque de commentaire. Entre 1993 et 2015, la période à laquelle les données disponibles nous permettent d’analyser les quatre pays, la Chine, le Cambodge, le Vietnam et le Laos étaient respectivement 1er, 2e3eet 4eau monde en termes de croissance du PIB, si l’on prend soin d’exclure les pays peu représentatifs dont la population est inférieure à cinq millions d’habitants ou dont l’économie est entièrement basée sur la production pétrolière. Depuis 1989, l’année de naissance du Consensus de Washington, jusqu’en 2015, la Chine, le Vietnam et le Laos tenaient respectivement les 1re, 2eet 3eplaces mondiales. Si l’on regarde la période qui démarre en 1978, on constate que la Chine est championne toutes catégories de la croissance économique.
Le degré auquel les pays dont l’économie est inspirée du modèle de développement chinois ont surpassé la moyenne mondiale est énorme. Depuis 1978, le taux de croissance chinois a été presque six fois supérieur à la moyenne mondiale. Sur la période qui débute en 1989, la croissance chinoise a à nouveau été près de six fois plus rapide que la moyenne mondiale, alors que le Vietnam et le Laos atteignaient des taux de croissance trois fois supérieurs à la moyenne mondiale.
Ce contraste est frappant, non seulement en termes de croissance du PIB par habitant, mais aussi de lutte contre la pauvreté. Depuis 1981, ce sont 728 millions de Chinois qui ont échappé à la pauvreté telle que définie par la Banque Mondiale. Un autre pays socialiste, le Vietnam, a vu plus de 30 millions de personnes sortir de la pauvreté suivant les mêmes critères. Dans le reste du monde, qui s’est majoritairement aligné sur le modèle dominant recommandé par le FMI, le Consensus de Washington, ce ne sont que 120 millions de personnes qui sont sorties de la pauvreté. En résumé, 83 % de la réduction de la pauvreté dans le monde s’est produit en Chine, 85 % revenait aux pays socialistes,contre seulement 15 % dans les pays capitalistes.
Ces données, bien entendu, font voler en éclats l’argument selon lequel c’est le capitalisme et les politiques de libéralisation du marché qui produisent une croissance rapide du PIB et le recul de la pauvreté. Si le capitalisme était, comme on le prétend, le meilleur moteur de croissance et de réduction de la pauvreté, c’est bien sûr dans les pays capitalistes que l’on constaterait une croissance rapide et une disparition de la grande pauvreté. Pourtant, c’est bien dans la Chine et le Vietnam socialistes que la lutte contre la pauvreté s’est révélée la plus efficace. Des pays socialistes, avec les pays qui ont suivi leur exemple comme le Cambodge et le Laos, qui ont également connu la croissance économique la plus forte.
Ce succès des politiques pragmatiques de la Chine est important pour la croissance économique mondiale. C’est particulièrement vrai dans le contexte de la croissance mondiale atone qui a suivi la crise financière internationale, que l’on a pu qualifier avec justesse de « nouvelle médiocrité ». Le développement économique reste la première préoccupation pour l’immense majorité de la population mondiale. Selon les dernières données de la Banque Mondiale, les pays en développement représentent 84 % de la population mondiale.
Les statistiques du développement économique mondial le montrent : les politiques de développement chinoises qui font jouer un rôle crucial au secteur public, édictent des règles précises pour faire avancer l’urbanisation, conduisent des politiques pragmatiques de lutte contre la pauvreté et maintiennent une orientation socialiste, ont été les plus efficaces pour conduire à la croissance économique et permettre de réduire la pauvreté. Les implications sont claires pour l’économie mondiale.
Le fait simple mais décisif que les pays qui se maintiennent aux 4 premières places en termes de croissance économique sont ceux qui suivent le « modèle socialiste de développement » chinois démontre sans fard la supériorité de ce modèle sur toutes les approches alternatives, en particulier sur le Consensus de Washington.
*JOHN ROSS est chercheur à l’Institut d’étude
financière Chongyang relevant de l’université
Renmin à Beijing. Il a été responsable de la
politique économique et commerciale au sein de
l’Administration du maire Ken Livingstone à Londres.