(France) CHRISTOPHE TRONTIN
La Chine va « trop vite » !
(France) CHRISTOPHE TRONTIN
Ce qui est drôle lorsqu’on vit en Chine, c’est voir à quelles contorsions la presse démocratique est prête à se livrer lorsqu’elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiquement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d’agilité que d’autres et parfois, des prouesses sémantiques qui vous laissent pantois...
La presse internationale ne sait plus sur quel pied danser : pratiquement depuis le début de la réforme et de l’ouverture chinoise, éditorialistes et grands organes de presse internationaux ne cessent de prédire le dérapage et la sortie de route à la Chine qui avance à pleine vapeur sur le chemin du progrès.
L’économie n’est pas une science exacte et bien souvent l’idéologie prend le pas sur la réalité des faits. C’est de plus en plus visible depuis la crise financière internationale qui a largement secoué les économies occidentales tandis que la Chine poursuivait imperturbablement son développement. Alors que la Chine est en passe d’aboutir à un accomplissement, la véhémence des éditoriaux atteint son paroxysme.
The Economist est depuis longtemps en première ligne : dans un dossier très complet qui remonte à 2006, l’hebdomadaire britannique ultra-conservateur mettait en garde la Chine en titrant Keep growing : easier said than done (Maintenir la croissance : plus facile à dire qu’à faire). En 2009, il semblait appeler de ses vœux la catastrophe annoncée qui est toujours sur le point d’arriver : The Chinese economy is stumbling : how much worse can it get ? (L’économie chinoise vacille : jusqu’où peut-elle tomber ?). L’année suivante, dans Le Monde, Thierry Wolton signait un papier qui comparait l’économie chinoise à celle de l’URSS, prédisant l’imminence d’un effondrement semblable à celui qui signa la fin de l’Union soviétique. En 2011,L’Obs titrait Un modèle à bout de souffle pour anticiper une fois de plus la fin du « miracle chinois. » En 2013, Le Monde signait un éditorial ravageur sous le titre Les banques chinoises au bord de la crise dans lequel il suggérait l’imminence d’une « crise économique majeure » en Chine. Le désastre annoncé ne s’est pas produit, mais ça n’empêcha pas le « quotidien de référence » d’en rajouter une louche l’année suivante, relayant sans rire les « inquiétudes » du FMI. « Le FMI prévient d’un fléchissement de la croissance chinoise », trompétait alors le quotidien parisien, reprenant à son compte le credo du Consensus de Washington qui affirme que rien de bon ne peut découler des interventions de l’État dans l’économie.
Des articles idéologiques qui flirtent parfois avec la mauvaise foi, comme celui-ci, paru dans Global Finance en février 2009 qui annonce un effondrement de 29 % des exportations chinoises par rapport à janvier de l’année précédente... oubliant de préciser que le Nouvel An chinois était passé par là puisqu’il tombait cette année en janvier, avec un grand nombre d’usines et d’entreprises qui ferment pendant deux à trois semaines, et que donc la comparaison avec janvier 2008 était complètement viciée.
Un mantra mille fois répété finit-il par influencer les faits ? The Economist s’y essaie depuis plus de vingt ans, dénonçant infatigablement les effets délétères de « heavy-handed government meddling » (l’ingérence maladroite du gouvernement) dans l’économie chinoise, sans que l’extraordinaire modernisation économique du pays n’en semble affectée.
Depuis 1978, chaque réforme, chaque initiative, chaque étape de cette modernisation a été saluée par des salves de mises en garde. L’économie chinoise ne croissait pas au rythme de 10 % par an, elle « était en surchauffe. » Le pays ne modernisait pas ses infrastructures, il « nourrissait une bulle de surinvestissement » qui devait éclater d’une minute à l’autre. Lorsqu’il réformait sa fiscalité, on lisait dans Courrier International un article intitulé Le fisc s’attaque aux classes favorisées (2006) détaillant les affres des malheureux Chinois aux salaires supérieurs à 120 000 yuans par mois jetés en pâture à l’inquisition fiscale. Une multitude d’articles prédisaient en même temps « l’éclatement de la bulle immobilière », « l’explosion des inégalités » et un « atterrissage brutal » de l’économie. Alors que le pays battait en 2009 des records d’accueil d’investissements étrangers, on pouvait lire dans Le Monde un article titrant La Chine, terre inhospitalière pour les investisseurs étrangers. Maintenant qu’elle entre dans la nouvelle normalité, avec une croissance plus raisonnable (que préconisaient les experts internationaux) on peut lire partout les papiers d’autres experts inquiets du « ralentissement catastrophique » de son économie.
Il en va de l’économie comme de la politique : l’opinion est plus influencée par les œillères idéologiques que par les faits mesurables. Peu importent les données, du moment où l’on a décidé, dans les comités de rédaction, que la Chine court à la catastrophe. Et pourtant, elle poursuit son chemin dans le cadre de l’économie socialiste de marché, dans laquelle la « main visible » de l’État tient fermement les rênes de la « main invisible » du marché.
La Chine entre d’un pas assuré sur la scène mondiale. Respectueuse du droit international, elle entend faire avancer ses intérêts légitimes et avec eux, ceux des pays émergents. C’est là le sens de sa présidence du G20 à Hangzhou, mais aussi de la réforme financière mondiale qui se dessine en coulisses. Le monopole du dollar a fait son temps, place à un système de Droits de tirage spéciaux plus équitable.