Afrique 2014
Les bons, les méchants et le futur par Aglah Tambo
lE scénario africain en 2014 a été largement
dominé par des histoires tragiques : Ebola, les conflits et les attaques terroristes. Pourtant, il n'était pas exempt de signes positifs, parmi lesquels les liens croissants avec la Chine et les lueurs de la croissance économique.
L'un des événements les plus significatifs de l'année passée fut la visite en mai du Premier ministre chinois Li Keqiang en Afrique. Sa mission au Nigéria, en Éthiopie, en Angola et au Kenya avait pour but d'intensifier les relations entre l'Afrique et la Chine, ainsi que de promettre plus d'investissement dans les infrastructures. La partie la plus importante de la visite était consacrée au Kenya, l'arrivée de Li à l'aéroport de Nairobi à la fin de sa tournée étant une véritable aubaine financière pour l'ensemble de l'Afrique de l'Est. Trois jours de dialogues multilatéraux avec les dirigeants de l'Ouganda, du Soudan du Sud et du Rwanda ont donné naissance à quinze accords et trois mémorandums au sujet des infrastructures.
Selon les experts, il revient maintenant aux gouvernements africains de faire bon usage de ces accords. « Les Chinois ont démontré leur sérieux en stimulant l'ordre du jour du développement [de l'Afrique de l'Est] car l'infrastructure est la clé », affirme Javas Bigambo, consultant chez lnterthoughts Consulting, un think tank régional sur la politique publique et la gouvernance. ll ajoute que le même sérieux de la part des gouvernements africains reste à prouver. Un engagement de leur part est nécessaire afin de conserver les avantages négociés et de mettre en place un environnement favorable aux investissements.
La visite de Li coïncide avec une croissance économique impressionnante sur le continent africain, en dépit de nombreux obstacles. Dans son Résumé de l'économie privée, une série de rapports sur les marchés émergents, le cabinet de conseil international Ernest and Young a indiqué que l'Afrique était le continent possédant le plus grand nombre d'économies dont le taux de croissance dépassait les 7 % par an. En outre,le commerce africain avec le marché émergent des BRlCS (Brésil, Russie, lnde, Chine et Afrique du Sud), ne cesse de croître, la Chine représentant 60 % de ces échanges, soit environ 225 milliards de dollars en 2013.
Les Chinois ont démontré leur sérieux en stimulant l'ordre du jour du développement [de l'Afrique de l'Est]car l'infrastructure est la clé.
Javas Bigambo, Consultant chez Interthoughts Consulting
Le rapport note également que, tandis que les investissements directs à l'étranger stagnent en Afrique du Nord depuis 2007, la région subsaharienne en a beaucoup bénéficié, en particulier au Ghana, au Nigéria, au Kenya,en Tanzanie, à l'Île Maurice, en Afrique du Sud et au Mozambique.
En avril 2014, le Nigéria a pris la place de l'Afrique du Sud comme première économie du continent. Le pays le plus peuplé d'Afrique a maintenant un PlB de 509,9 milliards de dollars, ce qui en fait la 26eéconomie au monde. Si le Nigéria, l'Afrique du Sud et l'Angola sont les géants économiques du continent à l'heure actuelle, la valeur réelle de l'économie kenyane a été revue à la hausse en octobre 2014. Son PlB a en effet bondi de 25,3 % pour atteindre 55,2 milliards, l'économie kenyane devenant ainsi la neuvième économie africaine.
« Bien que cette réévaluation offre de nouvelles pistes pour les investisseurs, les pauvres ne deviendront pas riches en une nuit. C'est juste votre statut qui est défini de manière plus pertinent », explique Eric Musau, analyste senior à la Standart lnvestment Bank de Nairobi. Carlos Lopers, secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique, affirme que la réévaluation de l'économie kenyane permet d'offrir des données plus pertinentes, qui représentent mieux le potentiel réel du pays.
Ebola pourrait avoir provoqué une perte de productivité allant jusqu'à 359 millions de dollars en 2014 dans les trois pays touchés
À peine trois ans après son indépendance en 2011, le Soudan du Sud, la plus jeune nation au monde, plonge à nouveau dans un conflit. À la fin de l'année 2014, les Nations unies estimaient que 100 000 personnes avaient été tuées et 1,8 million déplacées. Les violences sont laconséquence d'un désaccord entre le président Salva Kiir et son ancien bras droit Riek Machar, qui remonte à décembre 2013. L'Autorité lntergouvernementale pour le Développement (lGAD), une communauté économique régionale qui réunit huit pays, y compris le Soudan du Sud, a tenté d'aider les deux parties à négocier un accord de paix à Addis-Abéba. Le groupe a reçu le soutien de la communauté internationale, y compris celui de la Chine, de l'Union européenne et des États-Unis. Les deux belligérants se sont mis d'accord sur un gouvernement de transition, mais aucune des parties n'accepte que l'autre fasse partie du gouvernement provisoire.
Tandis que l'Afrique de l'Est est touchée par la guerre civile au Soudan du Sud, l'Afrique de l'Ouest a souffert d'une autre tragédie. La pandémie d'Ebola a pour l'instant surtout sévi en Guinée, au Libéria et au Sierra Leone. Après plus de 5 600 morts rapportés par l'Organisation mondiale de la Santé en novembre 2014, la communauté internationale a été accusée de faire la sourde oreille face à cette crise majeure. Certains analystes estiment que l'épidémie reflète plus généralement la situation des questions de santé dans le monde : celles-ci sont en effet rarement considérées comme des questions internationales,à moins qu'ils deviennent des pandémies et traversent les frontières, comme le SlDA. « On pensait que l'épidémie allait disparaître, avant qu'on réalise que la maladie pouvait se transmettre n'importe où », explique Peter Kagwanja,chef exécutif de l'lnstitut de Politique africaine, un think tank basé à Nairobi. Ebola, qui est apparu en Guinée en mars, a débordé les systèmes de soins prévus par le gouvernement. Les étrangers ont fui et les autres pays ont mis en place des mesures d'immigration très strictes afin d'empêcher la diffusion du virus.
« Les dirigeants ont échoué à traiter cette menace transnationale et les centres de traitement se sont réduits à des mouroirs », a dit le docteur Joanne Liu, présidente de Médecins Sans Frontières, au Conseil de Sécurité des Nations unies en septembre. Les Centres de Contrôle des maladies et de Prévention basés à Atlanta estiment que 500 000 nouveaux cas pourraient apparaître en 2015. « Ce qui était à l'origine un désastre médical a désormais affecté tous les aspects de la vie : l'économie, la vie sociale, les sports et même la réponse médicale se sont enrayés », affirme le docteur David Gachanja, économiste à l'Université de Kenyatta au Kenya. La Banque mondiale a estimé que cette maladie pourrait avoir provoqué une perte de productivité allant jusqu'à 359 millions de dollars en 2014 dans les trois pays touchés.
Le héros sud-africain des sports paralympiques, Oscar Pistorius, a été jugé coupable de meurtre et condamné en septembre à cinq ans de prison pour avoir tué sa petite amie, la top modèle Reeva Steenkamp, le jour de la Saint Valentin de 2013. Le procès est devenu l'un des plus célèbres de l'histoire. L'athlète a nié le meurtre, affirmant qu'il avait pris Steenkamp pour un intrus avant de lui tirer dessus à quatre reprises. Le procès a duré environ six mois, chaque détail, émotion et expression faisant le tour du monde et étant relayé auprès d'un public insatiable. Le verdict rendu par le juge Thokozile Masipa a été critiqué par certains qui auraient voulu une sentence plus lourde. La défense a confirmé qu'elle allait faire appel de la sentence, ce qui signifie que Pistoruis pourrait être de retour en tête des journaux en 2015.
Le Fond monétaire international (FMl) a revu à la baisse ses prévisions économiques pour l'Afrique subsaharienne,prévoyant une croissance de 5 % au lieu des 5,5 % initiaux,en raison de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest et des conflits en Afrique de l'Est. La croissance devrait cependant être tirée par l'investissement dans les infrastructures, par un secteur des services très dynamique, et par une production agricole importante. Cependant, selon le FMl, la situation sécuritaire en République centrafricaine,au Soudan du Sud, ainsi qu'au nord du Mali, au nord du Nigéria et dans la côte du Kenya reste préoccupante. Les pénuries d'électricité et les manifestations de travailleurs en Afrique du Sud pourraient également être des obstacles à la croissance.
Du côté des bonnes nouvelles, l'Afrique du Sud accueillera la Sixième Conférence ministérielle du Forum sur la Coopération sino-africaine (FCSA) à l'été 2015. Le pays entrera en outre dans l'Année de la Chine, afin de renforcer la coopération entre la Chine, l'Afrique du Sud et le reste du continent. CA