Par CUI XIAOQIN,membre de la rédaction
Une passeuse de culture explore des modes d’expression artistique inédits.
La productrice en chef Anaïs Martane dévoile la nouvelle affiche de la pièce de théâtre Les Misérables lors de la cérémonie de lancement de la tournée nationale 2024 au Théâtre Lao She de Beijing,le 15 décembre 2023.
«Les couleurs bleu-blanc-rouge de l’affiche font penser immédiatement à la France,où l’action se déroule,et les nombreuses silhouettes de personnages sur l’affiche donnent le sentiment que les individus sont impuissants face au torrent de l’époque »,explique Anaïs Martane,productrice en chef de la version chinoise de la pièce de théâtreLes Misérables,lors d’une promotion au Théâtre Laoshe de Beijing.
Le spectacle est le fruit d’une collaboration entre le metteur en scène français Jean Bellorini,des comédiens chinois,une équipe de production chinoise et une équipe de scénographie française.Du 26 au 28 janvier,elle a été jouée en première au Beijing Poly Theater,et entamera une tournée nationale à l’occasion du 60eanniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et la France.
Anaïs Martane,constamment engagée dans les échanges culturels et artistiques entre la Chine et la France,a été la principale initiatrice de cette collaboration.Elle avait initié la co-création sino-française de la pièce de théâtreAprès l’Orage,joué dans les versions chinoises duSystème de Ponziet deGhettoet assuré la production en chinois du livre audioLe Petit Prince.Épouse de l’acteur chinois Liu Ye,elle est photographe,chanteuse et productrice,et aspire à être une médiatrice culturelle entre les deux pays.« Là où il y a la rencontre de cultures,viennent naturellement les échanges »,dit-elle.
Sa rencontre avec la Chine et,plus précisément,avec la langue chinoise a eu lieu de manière totalement fortuite.« Dans l’enseignement en France,il faut choisir une spécialité au lycée,et des filières comme les sciences économiques étaient particulièrement en vogue à l’époque.Mais moi,j’ai toujours voulu faire des études d’art.» À son grand regret,elle a dû laisser de côté cette option parce que la meilleure école d’art de Nice était trop loin de chez elle.À l’approche de la date butoir de l’inscription,le hasard a voulu qu’elle découvre,à la fin de la longue liste des spécialités,une langue qui allait changer le cours de sa vie.« Le chinois était fantastique pour moi,les caractères écrits avec un pinceau sont comme des œuvres d’art,et les tons de la prononciation ressemblent aussi à de l’art.J’ai alors choisi le chinois ! »
Dans la France des années 1990,ceux qui apprenaient le chinois étaient rares et la Chine était très mal connue.« Mais quand mon père a appris mon choix,il était très content et il m’a dit que le chinois et la Chine,c’est l’avenir »,se souvient-elle.
En 1997,après trois années de chinois,elle fait son premier voyage en Chine avec son lycée.« Nous avons été le premier groupe de lycéens de Nice à aller en Chine,et l’événement a même été relaté par la presse locale,c’était une nouvelle vraiment sensationnelle.»
Ce court séjour en Chine lui a laissé des souvenirs inoubliables.De retour en France,elle songeait déjà à y retourner pour étudier et vivre.En 2001,elle s’est inscrite à l’Université normale de Beijing dans un programme d’échange.Amatrice de photographie,elle a arpenté la capitale chinoise pour capturer des moments de vie.« J’ai envoyé au magazineLa Chine au présentdes photos que j’avais prises et enregistrées sur une disquette,avec mon article sur la méthode d’apprentissage du chinois qu’utilisaient des étudiants internationaux en discutant avec les chauffeurs de taxi »,se remémore-t-elle.« J’ai même ramené un exemplaire deLa Chine au présentchez moi à Nice quand j’avais 17 ans,c’est une coïncidence fabuleuse »,raconte-t-elle au magazine en question.
Dans l’émission de voyage et de musique « Voyager en chantant » tournée dans la prairie de Nalati (Xinjiang) et diffusée en août 2021,Anaïs,qui chante dans le groupe folk chinois River Band,entonne la chansonMidian Mon Amouren français,accompagnée de l’accordéoniste Zhang Weiwei,du guitariste Wan Xiaoli et du célèbre chanteur Lao Lang.Il s’agit d’un nouvel arrangement et d’une réécriture des paroles en français de la première partie de la chanson.Sous un ciel bleu parsemé de quelques nuages,dans une vallée verdoyante,la chanson produit un effet saisissant.« Ce qui est intéressant,c’est que le public chinois aime la partie en français,et le public français,la partie en chinois »,relève-t-elle,étonnée.
Les premiers liens entre Anaïs et la musique folk chinoise se sont tissés il y a 20 ans.À cette époque,le River Bar,dans le quartier Sanlitun à Beijing,était un haut lieu de rencontre des musiciens folk.Elle avait alors terminé ses études et s’apprêtait à rentrer en France.« Un jour,j’ai entendu les Wild Children chanter dans le bar,et j’ai été tout de suite saisie,avec un sentiment familier à l’oreille.» Elle est alors montée sur scène pour improviser sur un tambourin,impressionnant Zhang Weiwei,Wan Xiaoli et les Wild Children.Progressivement,ils se sont liés d’amitié.« Ils viennent du nord-ouest de la Chine,mais il y a des éléments occidentaux dans leur musique,et mon ADN me permet d’y percevoir des émotions millénaires.» Anaïs leur apportait fréquemment des disques de musique israélienne et roumaine,ce qui a influencé l’esthétique musicale de certains d’entre eux.« Cela nous a donné l’impression d’être en phase avec le monde »,affirme Zhang Weiwei.
L’acteur chinois Liu Ye,metteur en scène du spectacle Ghetto,et son épouse Anaïs Martane,qui interprète le rôle principal,participent à une présentation à Beijing,le 10 octobre 2019.
Anaïs est également une photographe accomplie.Dès 2004,elle a commencé à travailler pour le magazineTimeen tant que portraitiste,et a ensuite co-publié le livre photoPortraits chinois.De plus,elle contribue aux échanges entre photographes chinois et français.Son agence photographique a co-organisé la participation de photographes chinois à des ateliers d’art et au Festival international de photographie des Rencontres d’Arles en France.
En 2017,elle a exposé ses photos à Beijing.Beaucoup relevaient des souvenirs du River Bar,documentant cet âge d’or de la musique folk chinoise.C’est à cette exposition qu’elle a été invitée à rejoindre le groupe River Band comme chanteuse principale.« J’avais toujours rêvé d’être chanteuse,mais je ne m’attendais pas à pouvoir un jour retrouver mes vieux amis chinois pour former ce groupe et réaliser mon rêve.»
Anaïs Martane,du groupe River Band,dans le clip de la chanson Ederlezi
« Ici,c’est chez moi »
En 2015,le livre audioLe Petit Prince,lu par Liu Ye et produit par Anaïs,entrecoupé de cinq extraits de chansons interprétés par le couple et des enfants,a été publié.« J’ai grandi en écoutantLe Petit Prince,et comme des comédiens célèbres en France se sont lancés dans la création de livres audio,je me suis dit pourquoi ne pas essayer ce modèle en Chine »,explique-t-elle,ajoutant que la plupart des enfants qui ont participé à ce projet sont issus de familles de travailleurs migrants et modestes.Cela correspondait parfaitement à son idée de départ de faire des projets qui ont du sens en y faisant participer des enfants défavorisés.
Passionnée par la culture chinoise,elle tient à ce que ses deux enfants s’en imprègnent.Dans la chambre de son fils Nuoyi,on peut trouver une grande affiche duRoi des singeset une autre du spectacle d’ombres chinoisesLa Pérégrination vers l’Ouest.« Depuis la naissance de Nuoyi,je trie sur le volet les livres pour lui.On a commencé par les histoires mythologiques sur Pangu,Houyi et Chang’e,et on en est arrivés àLa Pérégrination vers l’Ouest.»
« Je me sens chez moi en Chine,où j’ai ma famille,ma carrière et mon avenir »,déclare Anaïs.Alors que la troisième saison de « Voyager en chantant » est à l’antenne,Anaïs parcourt dans de nombreuses régions chinoises avec son groupe pour le tournage.« Le Xinjiang,le Yunnan,le Guizhou...Quand j’étais étudiante,j’étais une routarde aguerrie et j’ai parcouru beaucoup d’endroits en Chine,qui sont vraiment magnifiques.Vous me considérez peut-être comme une étrangère,mais moi,je ne me considère pas comme telle,ici,c’est chez moi.»