Par ZHAO KE
Devant les profondes mutations de l’environnement international, les élites politiques de l’Union européenne (UE) ont réalisé que ce n’est qu’en renforçant son unité et son intégration que l’UE peut fondamentalement sauvegarder ses propres intérêts dans la concurrence accrue entre grandes puissances. Elle pourra ainsi éviter d’être marginalisée et de devenir un pion entre les mains d’autres grandes puissances. Une intégration plus poussée doit donc aller de pair avec une plus grande autonomie stratégique. Avec le conflit russoukrainien, l’autonomie stratégique fait désormais l’objet d’un nouveau consensus politique au sein de l’UE. « Il y a cinq ans, l’autonomie stratégique était une chimère. Aujourd’hui, tout le monde en parle », se félicitait le président français Emmanuel Macron dans une interview accordée aux médias en avril. La communauté internationale accorde une attention particulière au processus d’élaboration de l’autonomie stratégique de l’UE, car il concerne à la fois les perspectives de développement de l’UE et conditionne l’évolution de la situation internationale.
Plus de 600 invités sont présents à la cérémonie d’ouverture de la Foire Chine-UE à Chengdu, le 30 juin 2023.
L’autonomie stratégique de l’UE a une double valeur. D’une part, il s’agit d’améliorer son statut et son influence internationale et de s’assurer qu’elle conserve l’initiative dans la concurrence entre grandes puissances. Dès 2020, Josep Borrell, le haut représentant de l’UE pour la politique étrangère et la sécurité, avertissait que l’UE risquait de « devenir sans objet » avec un poids réduit dans les affaires internationales. Il y a 30 ans, l’UE dominait l’économie mondiale, avec 25% du PIB mondial, contre 11% 20 ans plus tard. M. Borrell a souligné que pour maintenir l’influence mondiale de l’UE, l’autonomie stratégique dans la politique internationale est une question de vie ou de mort. Charles Michel, le président du Conseil européen, a également souligné que « l’autonomie stratégique de l’UE est l’objectif numéro un de notre génération ». L’essence de l’autonomie stratégique est de permettre à l’UE d’agir indépendamment des autres pays sur le plan militaire, politique et économique. Le conflit russo- ukrainien a fondamentalement changé la donne sécuritaire européenne, a considérablement renforcé le sentiment de crise de l’UE et l’a incitée à mettre en œuvre plus activement son autonomie stratégique.
Un autre aspect de l’autonomie stratégique consiste à approfondir l’unité européenne et à insuffler un nouvel élan à une intégration européenne stagnante. Ces dernières années, l’UE a effectué des percées dans l’intégration au nom de l’autonomie stratégique dans de nombreux domaines, notamment avec la mise en place duPlan de relance européen de 2020de 750 milliards d’euros et l’émission d’obligations au nom de l’UE pour lever des fonds qui comprend la mutualisation entre États membres. Ces mesures sont « révolutionnaires » pour l’intégration financière européenne. Après le début du conflit russo-ukrainien, l’UE a rapidement adopté laDéclaration de Versailleset la « boussole stratégique en matière de sécurité et de défense » pour accélérer l’intégration de la sécurité et de la défense. Le conflit a accéléré le rythme de l’intégration énergétique de l’UE et l’a poussée à adopter un mécanisme unifié d’approvisionnement énergétique pour assurer la sécurité dans ce domaine. La capacité d’agir indépendamment à l’extérieur et une intégration interne plus profonde sont les deux faces de la médaille de l’autonomie stratégique, et c’est là que réside l’avenir de l’UE.
Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, souligne la nécessité d’une approche unie dans les relations de l’UE avec la Chine, à Strasbourg, le 18 avril 2023.
Les perspectives d’une autonomie stratégique de l’UE dépendent de l’unité et de la coopération entre États membres sur cette question. Il s’agit en particulier de savoir si l’axe franco-allemand peut promouvoir ses différents agendas. À l’heure actuelle, l’Allemagne et la France sont d’accord sur le principe d’une autonomie stratégique, mais avec de nombreuses divergences sur des mesures spécifiques. Par exemple, l’Initiative européenne de bouclier aérien proposée par l’Allemagne en 2022 vise à mettre en place un système européen de défense aérienne et antimissile par l’approvisionnement unifié de matériels et de missiles de défense aérienne, notamment en provenance des États-Unis et d’Israël, alors que la France prône l’achat d’armes et d’équipements connexes au sein de l’UE. En outre, les pays d’Europe centrale et orientale se sont toujours méfiés des forces de défense indépendantes mises en place par l’UE, estimant que la sécurité de l’Europe est indissociable des États-Unis et plaidant pour que l’UE coopère avec les États-Unis dans le cadre de l’OTAN pour maintenir la sécurité européenne. Ceci est évidemment différent du concept de renforcement des capacités de défense indépendantes de l’UE prôné par les pays d’Europe de l’Ouest.
En outre, les États-Unis sont un facteur important affectant l’autonomie stratégique de l’UE. Dans le contexte de l’actuel conflit russo-ukrainien, les besoins de sécurité militaire de l’UE vis-à-vis des États-Unis ont considérablement augmenté. À court et moyen terme, la coopération militaire entre l’UE et les États-Unis prendra, à n’en point douter, le pas sur la construction de capacités de défense indépendantes de l’UE. La dépendance énergétique de l’UE à l’égard des États-Unis augmente également. En réduisant considérablement ses approvisionnements énergétiques en provenance de Russie, l’UE a accru sa dépendance vis-à-vis des États-Unis. L’UE est ainsi devenue la principale destination des exportations américaines de GNL en 2022, représentant 64% du total des exportations américaines. Les États-Unis sont désormais le deuxième fournisseur de GNL de l’UE, à hauteur d’environ 20%. En décembre 2022, 18% des importations de pétrole brut de l’UE provenaient des États-Unis, qui ont ainsi remplacé la Russie en tant que premier fournisseur de pétrole brut de l’UE. L’autonomie stratégique de l’UE ne pourra se réaliser du jour au lendemain, et ce sera évidemment un processus au long cours.
La Chine a toujours considéré l’UE comme une force stratégique et fait du développement des relations Chine-UE l’une de ses priorités de politique étrangère.
La Chine a toujours considéré l’UE comme une force stratégique sur l’échiquier international, et fait du développement des relations Chine-UE l’une de ses priorités de politique étrangère. Depuis l’établissement officiel des relations diplomatiques avec la Communauté économique européenne en 1975, la Chine soutient la cause de l’intégration européenne. Le gouvernement chinois l’a souligné à plusieurs reprises:« Nous soutenons l’établissement d’une Europe forte et unie », et « Afin de maintenir la paix dans le monde, nous avons toujours souhaité que l’unité européenne devienne plus forte, et nous souhaitons également que les pays européens appliquent des politiques indépendantes. » Depuis le XVIIIeCongrès du Parti communiste chinois, le gouvernement chinois a davantage envisagé et développé la coopération avec l’UE dans une perspective mondiale. Le président Xi Jinping a souligné que la Chine et l’UE sont deux forces importantes, deux marchés immenses et deux civilisations brillantes dans le monde, et ce qu’elles préconisent, combattent et font ensemble a une portée mondiale. Le 6 avril 2023, lorsque le président Xi s’est entretenu avec le président Macron, il a une fois de plus souligné que les relations Chine-UE sont liées au bien-être des deux parties ainsi qu’à la stabilité et à la prospérité dans le monde.
Le soutien du gouvernement chinois à l’autonomie stratégique de l’UE découle de deux considérations. Tout d’abord, la Chine et l’UE prônent un monde multipolaire.La Chine considère toujours l’UE comme un pôle indépendant dans un monde multipolaire. L’UE renforce son autonomie stratégique et a des points de vue et des positions indépendantes sur les affaires internationales fondées sur ses propres intérêts. Il ne s’agit pas seulement de suivre les États-Unis, mais de contribuer à l’établissement d’un monde multipolaire. Deuxièmement, les États-Unis considèrent actuellement la Chine comme leur seul concurrent, accroissant continuellement l’intensité et l’ampleur de la pression sur la Chine, et incitant activement l’UE à les rejoindre pour contenir la Chine. La Chine ne veut évidemment pas d’une alliance transatlantique pour la contenir, mais espère que l’autonomie stratégique de l’UE lui permette de résister aux demandes déraisonnables des États-Unis pour que l’UE contienne la Chine. L’autonomie stratégique de l’UE empêchera sa relation avec la Chine de dépendre de sa relation avec les États-Unis. C’est pourquoi le 6 avril 2023, lorsque le président Xi a tenu la réunion tripartite Chine-France-UE avec le président Macron et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, il a particulièrement insisté sur la nécessité de renforcer la stabilité des relations Chine-UE et souhaité que l’UE se fasse une perception plus indépendante et objective de la Chine.