Le 19 juin,en France,Fu Qiaomei est récompensée par le Prix international UNESCO-Al Fozan pour la promotion des jeunes scientifiques dans les domaines des sciences,de la technologie,de l’ingénierie et des mathématiques.Chercheuse à l’Institut de paléontologie des vertébrés et de paléoanthropologie de l’Académie des sciences de Chine,la généticienne chinoise a été récompensée pour ses importants travaux originaux sur la construction d’une carte évolutive des premières populations eurasiennes au cours des 100 000 dernières années.Une contribution qui apporte un point de vue évolutionniste sur la santé et l’adaptation environnementale des humains.L’une des figures de proue mondiales en paléogénétique,Fu Qiaomei s’est distinguée parmi 2 500 candidats pour devenir la première lauréate chinoise de ce prix.
Par rapport aux jeunes scientifiques de son âge,Fu Qiaomei a eu un parcours quelque peu hors des sentiers battus.Sortant du collège en 1998,elle a dû se résigner à la volonté de ses parents d’entrer dans une école normale secondaire pour devenir institutrice.C’est à ce moment-là qu’elle commençait à réfléchir sur son avenir: « Est-ce que ma vie sera toujours comme ça ? » Son cœur répondait « non ».Elle voulait faire quelque chose qui l’intéressait et s’est décidée à suivre des études universitaires.Mais,préalablement,elle a dû convaincre sa famille et se démener pour s’insérer dans un lycée général.Étant donné que le programme d’enseignement était différent de sa formation précédente,et qu’elle a été admise directement en première,ses débuts dans le nouvel établissement ont été très difficiles.Forte de sa diligence et sa ténacité,la lycéenne transférée a réussi à se hisser au milieu du classement de sa classe en un peu plus de deux mois.Deux ans plus tard,elle intégrait la spécialité« Techniques de protection du patrimoine culturel » de l’Université du Nord-Ouest à Xi’an (Shaanxi).
« À cette époque,j’hésitais beaucoup,je ne savais que faire exactement plus tard.J’avais toujours en tête une idée très simple: faire un métier qui me passionnait,j’ai donc tenté plusieurs choses »,confie la jeune scientifique.En effet,elle a changé deux fois de filière: de la licence de techniques de protection du patrimoine culturel en master d’étude des régimes alimentaires des humains anciens,puis en doctorat de génétique avec en spécialité la recherche sur l’ADN ancien.
Cette dernière consiste à extraire et à analyser,à l’aide de la biologie moléculaire moderne,des molécules d’ADN conservées dans les restes humains,animaux et végétaux anciens,en vue d’explorer les origines de l’espèce humaine et les itinéraires de sa migration,ainsi que de déterminer le sexe à partir des restes humains.Avant cette technique,il existait deux approches principales pour étudier l’évolution humaine:l’une est l’anthropologie physique et l’autre,l’extrapolation à partir de l’ADN des humains modernes.Béné ficiaire de l’essor de technologies telles que le séquençage génétique de nouvelle génération et l’analyse de mégadonnées,la technique de l’ADN ancien est en mesure de résoudre de nombreux problèmes scientifiques qui dépassaient les moyens traditionnels,permettant non seulement d’analyser les informations ADN des individus,mais aussi d’explorer l’évolution des populations humaines sur la planète.
Fu Qiaomei dans son laboratoire
Une mandibule del’Homme de Tianyuan
Fu Qiaomei et son équipe sont à l’avant-garde de la recherche mondiale sur l’ADN ancien.Quand elle parle de son ressenti pour son métier,« excitation » et « curiosité » sont les termes les plus récurrents.« En ce qui concerne mes changements de spécialité,j’ai toujours écouté mon cœur,vu que la biologie m’intéresse depuis le lycée.Je n’étais pas une gamine studieuse,mais je le suis devenue de plus en plus,en grande partie parce que mes études me passionnaient.Idem pour le travail que je fais maintenant,ce sont des choses qui me ravissent.C’est ça,la plus grande motivation qui me pousse à approfondir mes recherches.» La recherche des réponses aux questions« Qui sommes-nous ? » et « D’où venons-nous ? » constitue sa quête du Graal et met en valeur l’étude sur l’ADN ancien.« Il y a peu de questions comme l’étude des origines humaines,qui piquent notre curiosité au point de nous pousser à les explorer »,s’émerveille la chercheuse.
La technique de l’ADN ancien a commencé à briller au début du XXIesiècle.Cependant,même avec l’avènement de cette technologie,déchiffrer les secrets des humains anciens reste compliqué.D’après l’expertise de Fu Qiaomei,des restes osseux peuvent paraître,de prime abord,bien conservés,mais se révèlent finalement vidés de toute matière organique et porteuse d’ADN.Dans nombre d’autres cas,« les échantillons d’os humains que nous avons trouvés avaient été contaminés,ce qui fait qu’il est extrêmement difficile d’extraire l’ADN des restes humains d’un autre âge ou des fossiles ».
En 2013,l’équipe de Fu Qiaomei et ses collaborateurs ont développé un procédé de capture d’ADN ancien,en faisant de l’ADN humain moderne une amorce.L’instrument peut,à l’image d’un aimant,attirer,enrichir et « pêcher » l’ADN humain ancien à partir d’impuretés qui n’en contiennent qu’à 0,03 % avec une grande quantité d’ADN bactérien du sol.Cette percée technique a brisé les entraves que représentaient la contamination de l’ADN humain ancien et sa faible praticabilité,permettant de mener des recherches à grande échelle sur l’ensemble des génomes humains anciens.
Grâce à cet outil,Fu Qiaomei a réussi à extraire l’ADN nucléaire de l’Homme de Tianyuan,à partir de fossiles découverts près de Beijing et vieux d’environ 40 000 ans.C’est une première pour un des plus anciens Hommes modernes.« L’analyse montre que l’Homme de Tianyuan présentait déjà des caractéristiques génétiques asiatiques et avait un lien génétique avec une certaine population européenne ancienne »,explique la paléontologue.En 2017,cet important résultat de recherche a été publié dans la revueCurrent Biology.Il s’agit du premier génome humain ancien publié par un scientifique chinois et du plus ancien génome de l’Homme moderne en Asie de l’Est,une découverte considérée par la revueSciencecomme « comblant une lacune clé dans la géologie et le temps concernant l’Asie de l’Est ».
Depuis que Fu Qiaomei est devenue directrice du laboratoire dédié à l’ADN ancien de l’Académie des sciences de Chine,son équipe s’est engagée dans les recherches sur des génomes des populations anciennes en Chine et s’est attaquée aux questions liées à l’évolution génétique des populations d’Asie de l’Est.En 2021,Fu Qiaomei a obtenu des données paléogénomiques à partir des échantillons d’humains archaïques de la province chinoise du Heilongjiang,fournissant un nouvel argument à l’appui de la thèse sur les gènes adaptatifs chez les populations d’Asie du Nord-Est.« La population du Heilongjiang d’il y a plus de 30 000 ans et celle de Tianyuan d’il y a 40 000 ans sont de la même lignée.Nous avons également découvert par sérendipité que la source la plus directe des composants génétiques est-asiatiques des indigènes d’Amérique correspond le plus à la population du Heilongjiang d’il y a 14 000 ans.» L’histoire de la migration,de la diffusion et de l’intégration des populations asiatiques est en train de se démêler.
Au fur et à mesure de sa carrière,la chercheuse a jeté son dévolu sur le Xinjiang,le plateau Qinghai-Tibet et d’autres zones frontalières chinoises,et a mené des études paléogénomiques systématiques à grande échelle sur les populations anciennes locales.En avril 2022,la revueSciencea publié en ligne les résultats de recherche de son équipe,à savoir une restitution génétique de l’évolution des populations anciennes du Xinjiang et de l’histoire de leurs interactions au cours des 5 000 dernières années,démontrant que le Xinjiang est un carrefour d’échanges multiculturels et un creuset d’intégration en Eurasie depuis des temps immémoriaux.En mars 2023,de nouveaux résultats de recherche sur les populations du plateau Qinghai-Tibet ont fait sensation dans la communauté scientifique.Après avoir étudié les génomes nucléaires de 97 humains anciens locaux,l’équipe de Fu Qiaomei a découvert que les composants génétiques uniques des populations du plateau Qinghai-Tibet étaient déjà formés il y a 5 100 ans,et a révélé l’histoire complexe de leurs interactions internes et externes au cours des 5 000 dernières années.
La recherche sur l’ADN ancien est un domaine d’avant-garde,mais négligé aux yeux des gens ordinaires.« Certains croient que je passe mes journées à scruter les fossiles,et d’autres me demandent à quoi servent mes recherches.» Cependant,le doute ne lui a jamais effleuré l’esprit.« En termes de besoin du pays,mon domaine de recherche attire certes peu l’attention.Mais sur le plan scientifique,chaque discipline a sa propre valeur,et sur le plan personnel,je m’y consacre corps et âme,avec mes semblables qui se rassemblent pour la même passion.»
Pour illustrer ses résultats de recherche,il arrive à Fu Qiaomei de donner l’exemple suivant: « Certains pourraient avoir l’impression que les Européens ont toujours eu la peau blanche et des yeux bleus,mais en réalité,l’histoire de ces deux gènes ne remonte pas si loin que ça.» Selon une étude réalisée en 2016 par elle et son équipe,les Européens avaient des yeux foncés,qui sont passés au bleu depuis 14 000 ans tout au plus.Toutefois,à cette époque,leur peau était encore foncée et « la peau blanche est apparue plus tard que les yeux bleus ».« Bien sûr,que vous sachiez ou pas ce genre de choses,ça affecte peu votre vie.Mais quand vous apprenez la vérité pour la première fois,n’êtes-vous pas surpris ?Ne trouvez-vous pas ça magique ?Ce plaisir intellectuel n’est-il pas une sorte de bonheur ? »,s’enthousiasme la paléogénéticienne.
Pour elle,cette jubilation spirituelle et ce sentiment de bonheur font le sel de sa vie professionnelle.« Il ne faut pas être trop utilitariste,tranche-t-elle,si l’on jugeait tout à l’aune économique,alors la société humaine ne survivrait plus.»