Combien de pattes a donc cette chose ?
par Lisa Carducci
D'ABORD, comparons nos graphies du son [o].
Pour ma part, j'ai trouvé : oh !, trop, sirops, sot, sots, omis, des os, accroc, crocs, BujoId, Provost, Iandaus, ôte, hôteI, auto,haut, hauts, hauteur, vautour, saut, sauts, saIaud, saIauds,faux, LegauIt, ThifeauIt, beau, eaux, goaI, haII.
Et pour Ie son [e] : été, étés, trouver, j'ai, tramway,tramways, eh !, hébreu, pied, pieds, fumée, fumées, et, nez,hockey, cIef, cIefs, baie, baies, baisers, gais, EiffeI. Et vous ?
Maintenant poursuivons nos découvertes. De nombreux noms propres, soit de personnes réeIIes ou de personnages issus de I'imagination humaine, sont devenus des termes désignant d'autres personnes qui présentent Ies mêmes caractéristiques. Nous en avons vus queIques-uns dans Ie numéro de juin.
Mais iI y a aussi des noms d'animaux (un danois, un terre-neuve, un siamois, un sansonnet, un pékinois), des noms d'objets, de mets, d'actions, qui nous viennent de noms propres dont nous avons oubIié I'origine. Essayons ensembIe de nous rafraichir Ia mémoire.
Commençons par Ies inventions qui portent Ie nom de Ieur inventeur. Barème : de Barême, mathématicien du XVIIesiècIe ; Ie diéseI de DieseI; Ie fuchsia, Ie magnoIia et Ie gardénia des botanistes Fuchs, MagnoI et Garden; Ia guiIIotine de GuiIIotin (1792), Ia montgoIfère de MontgoIfer,Ies guiIIemets de I'imprimeur GuiIIaume; Ie vioIon Stradivarius ; Ie potage Parmentier et Ie sandwich; Ie macadam de McAdam : Ie braiIIe… Ia Iumière…
Maintenant, parcourons une Iiste de noms communs tirés d'un Iieu géographique. Les eaux-de-vie ou autres aIcooIs Armagnac, Cognac, Champagne, Xérès, Bourgogne,BeaujoIais, MaIaga; Ie CaIvados.
Les fromages : Ie Camembert d'un viIIage normand, Ie suisse, Ie parmesan de Parme, Ie Roquefort.
Les voitures : Ia Iimousine du Limousin, Ie facre, Ia berIine de BerIin et Ie Iandau d'une viIIe d'AIIemagne.
Divers : Ia faïence, de Faenza en ItaIie, Ia baïonnette de Bayonne; Ia bougie de Ia viIIe du même nom, exportatrice de cire.
Des termes scientifques comme VoIt, Ampère, Watt, Newton, Farad, CouIomb; bécher,bunsen; nicotine, morphine de Morphée, dieu du sommeiI).
Des actions comme Iimoger (Limoges),Iyncher (exécuter sommairement, de Lynch),boycotter (Boycott, premier propriétaire irIandais mis à I'index).
Des tissus comme tuIIe, tweed, cretonne, damas, gaze,batiste, suède, tweed…
et combien d'autres !
Nous avons déjà mentionné, en juin, que Ia perception ocuIaire ou auditive infuence Ia Iangue, et nous avions étudié Ia façon dont on reproduit par écrit I'aboiement d'un chien dans diverses Iangues. La perception cuItureIIe aussi donne des résuItats différents pour une même réaIité. Cette petite bête qu'on appeIIe en français miIIepatte (de son nom scientifque scoIopendre, n.f.) a-t-eIIe vraiment 1 000 pattes ? Bien sûr que non; eIIe en aurait, dit-on, 42, soit 2 sur chacun de ses 21 anneaux. J'avoue que je n'ai pas vérifé.
Or, en serbe, Ie miIIepatte a 100 pattes : en russe,seuIement 40. Les Russes auraient-iIs pris Ia peine de Ies compter ?
Dans d'autres Iangues, on parIe pIutôt de « pieds » que de pattes : 100 en angIais, de son nom Iatin centipede ; 100 en espagnoI (ciempiés) et en portugais (centopéia) ; et 1 000 en aIIemand (tausendfübler) et en itaIien (millepiedi).
Les Chinois ont évité de se tromper en comptant et ont appeIé Ia scoIopendre simpIement wúgōng 蜈蚣 (sans référence au nombre de pattes).
II en va de même dans Ia perception des couIeurs. Voyons I'exempIe du raisin.
En français, on parIe de raisin vert, rouge ou bIeu; en itaIien et en serbe, de raisin bIanc ou noir. En chinois, Ie raisin est vert ou vioIet (pourpre), tandis qu'en russe, on Ie voit bIanc, rouge, ou rouge foncé. Les EspagnoIs ont du raisin bIanc, noir ou rouge, tandis que Ies AngIais parIent de raisin vert, rouge, noir, et bIeu pour Ie raisin à vin.
Sous un autre aspect, cette perception cuItureIIe de Ia Iangue peut avoir des conséquences sociaIes ou poIitiques. Voici un exempIe personneI. Je suis fIIe d'un ItaIien et d'une Canadienne-française. Lorsque mon père, Antonio, me ft inscrire sur Ie registre des baptêmes, Ie prêtre, qui était un franco-québécois acharné, refusa d'inscrire Lisa CeIeste, qu'iI traduisit en Lise CéIeste, avec ce commentaire disgracieux:« On est dans un pays francophone, ici, et cette enfant-Ià ira à I'écoIe française et parIera français ! » II traduisit même Ie prénom de mon père,qui devint Antoine. Racisme ? Étroitesse d'esprit ?À I'âge de 16 ans, je dus faire Ies démarches nécessaires pour rectifer Ies choses. CA
La perception
culturelle
aussi donne
des résultats
différents pour
une même
réalité.