Un rite de passage
par Lisa Carducci
DEPUlS les temps anciens, un rituel aussi appelé « rite du chapeau » pour les garçons et « rite des cheveux » pour les filles,existe encore aujourd'hui et reprend même de la vigueur sous le nom de chengren. Ce terme signifie homme complet ou personne consommée ; il s'agit en fait de passage à l'âge adulte. Cette tradition appartient aux Han. Les garçons recevaient alors un chapeau, emblème de leur âge d'homme, et les filles changeaient leur coiffure de petite fille en un chignon piqué de longues épingles en argent ornées de pierres précieuses, de perles et de délicats pendentifs. ll s'agissait en quelque sorte d'un « couronnement » des jeunes devenus adultes.
Mais ce rituel n'est pas réservé à la Chine. Dans toutes les cultures, il existe des rites de passage, à divers niveaux et dans diverses circonstances.
Retourner au rite dit chengren aujourd'hui,c'est retourner aux enseignements de Confucius, que la culture chinoise allait délaissant de plus en plus. Pour faire obstacle à ce délaissement des traditions, de nouvelles politiques gouvernementales montrent un vœu de renouer avec les valeurs anciennes sur lesquelles la nation chinoise s'est développée. Ces valeurs concernent la piété filiale,de respect des frères et sœurs ainés, le soin des plus jeunes, la responsabilité sociale du citoyen, en résumé les règles de l'étiquette sociale et de la morale imposée aux adultes.
En octobre 2011, pendant le congé de la Fête nationale, j'avais conduit des visiteurs canadiens au parc des ruines de Yuanmingyuan. Tout à coup, nous avons aperçu, regroupés auprès d'un petit pavillon, une centaine de garçons en complet occidental et de filles en robe longue. « Oh ! Un mariage ! » S'est exclamée une de mes invités. « Allons voir », ai-je dit,moi-même incertaine de la nature du rassemblement.
Aujourd'hui, on « gradue » en toge à chaque étape des études,secondaires,primaires et même à l'école maternelle
En nous approchant, nous avons distingué un portail fait de branches d'arbre souples, arrondies au sommet et décorées de fleurs, avec une inscription au-dessus : 成人门, chengrenmen. J'ai traduit pour les visiteurs qu'il s'agissait de la « porte par laquelle on devient une personne », littéralement, et « devenir adulte », comme sens.
Dans les temps anciens, on accomplissait cette cérémonie entre l'âge de 15 et de 20 ans pour les garçons. Chaque personne prononçait un serment séparément, puis était « reçue » par l'officiant. Un sacrifice était offert, comportant de l'alcool dans un contenant spécial et quelques aliments particuliers. On brulait de l'encens, répandait du riz sur le sol; on s'agenouillait sur un coussin, et l'on se lavait les mains dans une bassine d'eau parfumée.
« À quel âge devient-on majeur en Chine ? », m'a-t-on demandé. J'ai expliqué que cette cérémonie avait lieu une fois l'an pour tous les étudiants qui atteindraient leurs 18 ans dans l'année, soit, généralement, en gaosan ou dernière année du cours secondaire.
Or, on avait peine à croire que ces jeunes étaient si jeunes. « Regarde, cette fille en robe de mariée; elle a au moins 25 ans ! » Je dois dire que tout déguisés et maquillés qu'ils étaient, certains paraissaient beaucoup plus âgés qu'ils ne l'étaient en réalité.
Parfois, on reprend ce rite ancien dans sa forme originale et porte les vêtements d'autrefois. Ce n'était pas le cas des jeunes au Yuanmingyuan.
ll en va de même pour la cérémonie de graduation. À l'époque où j'étais étudiante, on ne portait la toge et le mortier (noirs) qu'à la réception d'un diplôme universitaire. Aujourd'hui,on « gradue » en toge à chaque étape des études, secondaires,primaires et même à l'école
maternelle. Les toges et mortiers adoptent toutes sortes de couleurs et des formes fantaisistes. Le « rite de passage » a donc perdu son sens original d'accomplissement de la personne, mais garde le sens de passage d'une étape à une autre. Et cela vaut autant pour l'Occident que l'Orient.
Et vous, qu'en pensez-vous ?