L'effet Cecil
DANS un monde où chaque jour apporte son lot d'horreurs, de tragédies et de
souffrances émotionnelles, il est rare qu'un événement provoque l'indignation générale dans les populations du monde entier. Le meurtre du lion Cecil, âgé de 13 ans, était l'un de ces événements. Ce lion à la crinière noire, rare et emblématique, a été tué illégalement le 1erjuillet par le dentiste Walter Palmer, qui l'a tout d'abord blessé d'une flèche, puis attiré avec un appât hors du Parc national de Hwange au Zimbabwe où les animaux sont protégés.
Les parcs du Zimbabwe et l'Autorité de gestion de la vie sauvage ont interdit la chasse au gros gibier autour du parc le 1eraoût, pour ensuite lever partiellement l'interdiction quelques jours plus tard. Elle reste cependant en place dans deux domaines de chasse privés près de Hwange. En raison de sa présence charismatique, Cecil était le favori des touristes du parc, et avait été équipé d'un collier GPS, dans le cadre d'une étude menée par le Centre de recherche de Hwange et par l'Université d'Oxford, ce qui a contribué à l'indignation des observateurs.
Le Zimbabwe, affirmant que Palmer avait terni l'image de la chasse, a demandé à ce que ce dernier soit extradé des États-Unis pour paraître devant la justice pour la mort de Cecil. Selon les régulations sur le braconnage au Zimbabwe, Palmer encourt 15 ans de prison s'il est reconnu coupable. La chasse du lion est légale dans plusieurs pays africains, dans des zones délimitées et selon des règles strictes.
Palmer se cache après avoir été condamné par tout le monde, de la Maison Blanche et des organisations de droits des animaux, aux célébrités et aux citoyens ordinaires. L'image de Cecil a même été projetée sur l'Empire State Building à New York. Pour sa défense, Palmer a affirmé qu'il se reposait sur des guides professionnels locaux pour s'assurer de la légalité de cette chasse. Suite à cette indignation internationale, les deux guides zimbabwéens avec qui il travaillait ont été arrêtés pour chasse illégale avec appât et relâchés sous caution, en attente d'être jugés.
Malgré l'indignation internationale, la majorité des Zimbabwéens ne connaissaient apparemment pas l'existence de Cecil, et ont trouvé que l'attention donnée à cet incident était excessive. Pour eux, le pays rencontre des problèmes autrement plus graves, comme la crise économique,le manque d'eau et d'énergie, ou encore le chômage croissant.
Le débat sur l'éthique et la légalité de la chasse au gros gibier, ainsi que sur l'opportunité de revenus générés par la chasse légale et pouvant être réinvestis dans la conservation de la vie sauvage, se poursuit. Les critiques disent que les revenus de la chasse ne sont généralement pas redistribués où ils devraient, tandis que les défenseurs de la chasse affirment que les animaux qui sont massacrés illégalement le sont par des braconniers très organisés.
Tandis que le débat continue, il s'agit aussi de se demander pourquoi la mort d'un lion dont le monde n'avait jamais entendu parler a pu susciter une telle indignation, alors que la mort de personnes humaines reçoit rarement une condamnation aussi universelle. Peut-être parce que la roue de la justice semble tourner si lentement dans les tragédies humaines, tandis que la pression de l'opinion publique a forcé les responsables de la mort de Cecil à rendre compte rapidement de leur crime. Ou peut-être que la mort du roi des animaux touche en nous une corde sensible, surtout quand il a un nom.
Ou peut-être encore parce que Cecil personnifie le massacre illégal de toutes les espèces en danger en Afrique depuis des décennies, pour leurs qualités médicinales ou comme trophées,pour satisfaire l'égo des riches.
He Wenping, chercheuse à l'lnstitut Charhar et directrice de l'lnstitut de recherche sur l'Asie de l'Ouest et l'Afrique relevant de l'Académie chinoise des sciences sociales
Lisa Carducci, Canadienne habitant à Beijing qui a écrit beaucoup de livres sur la Chine